Le détail vestimentaire a son importance : depuis quelques années, tu n’arbores plus ce nœud papillon qui te distinguait, jadis, parmi l’engeance des experts en cravates qui évangélisaient dans le poste. Comme eux, tu avais un avis sur à peu près tout, souvent dans les domaines scientifiques où n’importe quel détenteur d’un bac S – ou d’un abonnement […]
Le détail vestimentaire a son importance : depuis quelques années, tu n’arbores plus ce nœud papillon qui te distinguait, jadis, parmi l’engeance des experts en cravates qui évangélisaient dans le poste. Comme eux, tu avais un avis sur à peu près tout, souvent dans les domaines scientifiques où n’importe quel détenteur d’un bac S – ou d’un abonnement à Science & vie – a les moyens d’enfumer à l’aise le reste de ses contemporains.
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Mais, contrairement à eux, tu savais y apporter ce zeste de fantaisie et ainsi papillonner de plateau en plateau avec la légèreté zézéyante du passeur de théories oubliables, à la manière d’un tonton cathodique un peu casse-burettes mais rigolo.
Et puis à un moment tu as commencé à te prendre au sérieux et à jouer les essayistes vulgarisateurs pour dénoncer, dans des pavés prétendument saignants, la gabegie des finances publiques, le rhumatisme mortifère des syndicats ou encore la satellisation des élites hors de la vue du bon peuple. Etant entendu qu’à l’instar de l’enfer, l’élite, c’est toujours les autres.
Sur le sujet, ton Divorce français précédait de quelques années, dans le coin droit des librairies, Le Suicide français de Zemmour, toi en tireur d’alarme soft, lui en tireur d’élites version hard. Le magazine Paris Match ne s’y est d’ailleurs pas trompé, organisant récemment un dialogue entre vos deux pessimismes – valorisables en juteux droits d’auteur –, conversation ouatée qui vous rapprochait au final plus qu’elle ne vous éloignait.
Ton dernier livre, La France à quitte ou double, délaie sur trois cents pages le sujet qui par ailleurs excite la libido rance de Zemmour, à savoir l’arrivée envisageable du FN au pouvoir. On t’a entendu le répéter inlassablement, cette perspective te fait horreur. Pourtant, comme la plupart des polémistes ou des “intellectuels” qui reniflent ce sujet en se pinçant le nez mais en prospérant de sa puanteur, tes conclusions laissent un peu sur le cul. Finkielkraut-de Closets, même combat : on sait que tout ça sent un peu la merde malgré le désodorisant Brise Marine, mais… Et derrière ce “mais”, derrière ces points de suspension, lorsqu’on te lit, on trouve toutes les raisons qui poussent les gens à s’abandonner aux sirènes frontistes.
En résumé, pour combattre le FN, il faudrait ramener au bercail “républicain” toutes ses idées, mêmes les plus torves : la mise au ban de l’islam au nom d’une laïcité qui, bizarrement, ne s’appliquerait qu’à lui, la réhabilitation de la fierté patriotique, la glorification de l’identité nationale au détriment des chimères multiculturalistes qui ont fait leur temps. Bref, pour éteindre la flamme FN, soufflons dessus avec une haleine de kérosène, ça ne la fera pas vaciller, bien au contraire, mais ça enrichira les souffleurs. Au moment même où tu mangeais à tous les râteliers médiatiques, le Front national progressait encore dans les urnes départementales, comme ton livre dans les baromètres des ventes. Les uns nourrissant les autres, il n’y a pas de raison, autre que morale, que cette petite machine bien huilée ne s’arrête de sitôt.
Je t’embrasse pas, j’ai un nœud papillon à l’estomac.
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