En 2016, après six ans de travaux, Châtelet aura changé de visage. En attendant, il reste le point de convergence de la jeunesse de Paris et sa banlieue. Immersion.
Une trentaine d’ados en jeans slim, Vans et hoodies sont en train de danser. Les bras ne bougent presque pas mais le jeu de jambes est assez dingue. On dirait un croisement entre hip-hop et crump.
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On demande des précisions : « C’est du jerk, hein, mais pas celui de tes parents », explique Greedy, 19 ans, le leader de la bande, aussi souple dans le mouvement que dans la vanne.
« Aux Etats-Unis, notamment à Los Angeles, ça fait trois ans que ça marche. Ici, en France, ça a commencé il y a un an seulement. Aujourd’hui, on est une centaine à se retrouver plusieurs fois par semaine pour danser. »
Presque toujours, cela se passe à Châtelet, sur la terrasse. Là-haut, les jerkers dansent devant des vitres sans tain. Ils peuvent se corriger, s’admirer, se mater les uns les autres. Là-haut, surtout, personne ne vient les chercher, ni les embrouilleurs ni les flics. Seuls quelques touristes passent ici.
Chacun marque son territoire
« Quand on a vraiment envie de se montrer, il nous suffit de descendre l’escalier et d’entrer dans la fosse », reprend Greedy, alors que ses danseurs se dispersent. Des filles plutôt pimpantes viennent d’arriver sur place.
A Châtelet, la concurrence est rude. Chaque bande doit revendiquer son territoire, le défendre. Cela a toujours marché comme ça. Au début des années 1980, peu après l’ouverture du Forum, « c’était le western », raconte Astro, ancien habitué des lieux.
« Je me souviens d’un tag, au marqueur, sur la fontaine des Innocents. Sur le dessin, un mods était poursuivi par un skin et un rockeur. Les mods, avec leurs costards bien propres, étaient les têtes du Turc, les fils à papa, ils se faisaient taper par tout le monde. Les punks, eux, se faisaient cogner par les skins. Il y avait aussi des tensions internes entre rockeurs, d’un côté les Cats, la crème, et de l’autre les Ny-joh, les Johnny, quoi, les rockeurs de banlieue… C’était vraiment chaud. »
Aujourd’hui, les bastons restent fréquentes. Depuis deux ans, elles se sont même intensifiées. A Châtelet, on règle des histoires de banlieue et des affaires locales. Une bande baptisée Candy Shop s’est illustrée ces derniers mois, au point d’avoir les honneurs du Parisien.
Souvent, Guadeloupéens et Martiniquais se mettent dessus. Chacun défend son espace, son business, le territoire est codifié. Le soir, les dealers et les toxicos du coin traînent dans le jardin, derrière le Forum, où les arbustes servent de planque.
En déroute, les skateurs ont migré ailleurs
Pour le calme, de nombreux SDF s’installent sur la terrasse, à l’endroit même où les jerkers s’agitent l’aprèsmidi. Pour des raisons techniques, les skateurs de Châtelet sont historiquement à la fontaine des Innocents.
Ce jour-là, ils sont deux à tourner, laborieusement. Les figures ne passent pas, les planches valdinguent en permanence mais ils gardent le sourire.
« C’est un bon endroit, dit Rod, 24 ans. Le revêtement est en marbre, ça glisse bien. Pour les figures, il y a les murets tout autour de la fontaine. Et quand beaucoup de gens sont assis dessus, c’est comme si on avait du public. »
En réalité, les skateurs sont en déroute à Châtelet. Trop d’histoires, trop d’embrouilles, le gros de la troupe est parti à Bercy ou au palais de Tokyo. Autour de la fontaine des Innocents, les rares skateurs qui restent font profil bas.
Rod rate une nouvelle figure. Assis sur le muret, cinq mecs de Mantes-la-Jolie se bidonnent. Un Black très grand, aussi intimidant qu’hilarant, se dresse et demande la planche. « Vas-y, file-la moi, je vais te montrer. » Rod baisse les yeux, s’exécute. Il a perdu la partie.
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