En 2016, après six ans de travaux, Châtelet aura changé de visage. En attendant, il reste le point de convergence de la jeunesse de Paris et sa banlieue. Immersion.
Par où commencer ? Par où entrer dans cette improbable cour des Miracles? A qui parler ? Qui en premier ? A peine le temps de se poser la question que, déjà, on nous tombe dessus.
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A quelques mètres de l’entrée du Forum des Halles, entre le Flunch et le magasin Dr. Martens, un type en poncho de pluie nous a repérés. Il veut de l’argent pour son association humanitaire, on file tout droit. Trente secondes plus tard, devant le McDo, une petite meuf nous aborde à son tour. Elle aimerait bien nous parler de l’association de quartier pour laquelle elle opère à Clichy, et éventuellement nous refourguer des cartes postales. Mais on connaît l’histoire.
Bientôt, un type à l’air chelou nous siffle. Il semble enclin à partager avec nous des substances prohibées. On a ce qu’il faut, merci mec.
C’est un samedi après-midi et ça grouille dans tous les sens. Entre cinq cent mille et un million de personnes transitent chaque jour à Châtelet, qu’elles y passent en RER ou en métro, fassent du shopping dans le Forum ou traînent en surface. C’est le lieu de toutes les rencontres et de toutes les sollicitations. Ici, en un après-midi, si vous êtes en veine, on vous accostera une dizaine de fois.
Théo, 16 ans, et ses potes sont des experts en la matière. Ils viennent de Poissy et chassent les filles à Châtelet. Ils y passent leur après-midi, plusieurs fois par semaine, et connaissent tous les trucs.
« Si tu veux une Black ou une métisse, tu vas devant le KFC, mais si tu veux une Blanche ou une Rebeu, il vaut mieux aller à côté du McDo ou du Quick », dit Théo alors que deux filles pas mal passent à proximité.
Avec Jérôme, son pote le plus entreprenant, ils leur sautent dessus. Chacun sa fille, le numéro est rodé. La voix s’adoucit. Un peu : « Vas-y, tu viens d’où ? Tu fais quoi à Châtelet ? », demande Théo à sa cible.
La fille est de Saint-Denis, elle est venue acheter des Vans. Elle sourit, mais résiste. Avant de lâcher son numéro, elle veut l’avis de sa copine, alors Théo s’adapte : « Prends le mien, tu vois, tu m’envoies un message ce soir, ok ? » Elle note consciencieusement, la face est sauvée. « C’était une ‘Z’, une Zaïroise, je les aime, elles », se marre Théo en se repliant.
Entre les voitures, ils se roulent des pelles, et plus.
Et ça continue. Il vient de repérer une fille dans un magasin de pompes un peu cheapos. Il fonce à l’intérieur, la fille est en train d’enfiler des escarpins mais il lui fait son numéro. Réceptive, elle lui donne rendez-vous devant le magasin dans deux minutes. Trop tard, il est déjà passé à autre chose.
Une grande Black et une petite blonde discutent tout près. Théo s’occupe de la première. Fastoche. La fille, de Bondy, lâche déjà son numéro. « A Châtelet, on attrape les numéros ou alors les Facebook, t’as vu, explique Théo. Il y a des moments d’échec, mais ça va, on s’en sort. En un après-midi, on peut ramasser dix contacts. Faut juste de la capacité à bien parler. Après, il faut gérer. Je note le numéro et je prends la fille en photo avec le téléphone. Le soir, je regarde, et j’envoie des messages ti-gen. Dans 50 % des cas, on se revoit et on conclut. Souvent, ça se passe encore à Châtelet. Si on veut faire le romantique, on paie le KFC. Ou on les amène discuter vers le cinéma, dans le Forum, c’est calme là-bas. Après… »
Après, les gars vont au plus simple. Impossible de ramener les filles à la maison ou de payer une chambre d’hôtel, alors ils les emmènent dans le parking de deux mille places, sous le Forum des Halles. Entre les voitures, ils se roulent des pelles et plus. De toute façon, tout se saura. Sur un compte Facebook ouvert à cet effet, les habitués de Châtelet balancent les histoires de coeur des uns et des autres.
Un endroit idéal pour squatter
Construit à l’emplacement des Halles de Paris, inauguré en 1979 après plus de dix ans de travaux, le Forum des Halles est une monstruosité architecturale.
Sur 182 hectares, en souterrain, cohabitent une immense gare de métro et RER, la plus dense d’Europe, et un centre commercial de cent soixantedix boutiques. Les coins et recoins sont innombrables. L’endroit parfait pour chourer, cavaler, semer les flics.
Ici, les vols à la tir sont trois ou quatre fois plus nombreux que dans un centre commercial moyen. Même topo en surface : partout des escaliers, terrasses, baies vitrées, tunnels. Autant d’endroits pour se planquer ou squatter.
A quelques mètres de l’une des entrées du Forum tourne un vieux manège. Trois gamins s’amusent pendant que les parents patientent gentiment sur les bancs. A dix mètres de là, quelques Guadeloupéens un peu chauds se marrent, crient, fument et font tourner une bouteille de rhum. Du lundi au dimanche, ils sont là, c’est leur coin d’île. Juste au-dessus de leur tête, sur une immense terrasse, la musique résonne. On monte voir.
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