Canal+ a annoncé la création d’une chaîne bonus gratuite et généraliste. TF1 et M6 s’énervent, l’Elysée s’empêtre.
Selon un récent sondage TNS Sofres, les Français souhaitent à 87 % que l’offre sur la TNT soit élargie. Mais il n’est pas sûr que les chaînes historiques – TF1, M6 et Canal+ – disposent, comme le leur accorde une loi de mars 2007, d’un canal supplémentaire avant mai 2012.
L’alliance traditionnelle des chaînes historiques a explosé en vol quand Bertrand Meheut, pdg du groupe Canal+, faisant fi d’une mise en demeure de la commission européenne, a annoncé en mars dernier la création de Canal 20, une chaîne gratuite et généraliste. Une déclaration de guerre à TF1 et M6 qui craignent de voir leur part publicitaire se réduire. L’arrivée de Canal 20 « crée une situation inacceptable » a assuré au Monde Nonce Paolini, pdg de TF1. «
Avec ses moyens et son catalogue, le groupe Canal+ pourrait vite en faire une chaîne rentable », analyse un vieux routier du PAF.
Pour le moment, l’arrivée de cette chaîne est plus qu’hypothétique, la commission européenne ayant estimé en novembre dernier que l’octroi de ces chaînes bonus était non conforme au droit européen car il ne respectait pas les règles de la concurrence. A l’origine, cela avait pour objectif de compenser les pertes potentielles liées à l’arrivée de la TNT. « Favoritisme », a tonné Bruxelles. L’Elysée va devoir composer avec une loi votée sous Chirac, les ambitions du groupe Canal, les crispations de TF1 et M6, les revendications des Bolloré (Direct 8), Weill (BFM TV) et Baudecroux (NRJ 12), et désormais le non catégorique de Bruxelles. Tout cela à un an de l’élection présidentielle…
» Si Meheut pouvait arrêter de faire de la politique et faire de la télévision… », soupire-t-on à l’Elysée.
La présidence assure qu’elle attend l’avis motivé de la commission européenne, manière de donner du temps au temps tout en essayant de ne pas trop froisser les amis du Président, au premier rang desquels Martin Bouygues et Vincent Bolloré. Du côté du Château, on a donc décidé de ne rien décider. Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), a été chargé par Matignon de proposer des pistes de sortie pour fin juillet.
« Le groupe Canal a avec lui les parlementaires, le monde de la création et l’opinion publique », décrypte un ancien de la commission Copé.
De plus, précise-t-on du côté de Canal+, « TF1 et M6 sont en situation quasi oligopolistique sur le marché publicitaire avec 76 % du gâteau en 2010 ». Manière de signifier que les craintes des deux chaînes privées sont infondées.
Pendant ce temps, les lobbyistes maison travaillent. Canal+ choie les députés, Martin Bouygues (TF1) et Vincent Bolloré (Direct 8) activent leurs leviers élyséens, quand Nicolas de Tavernost (M6) explique à qui veut l’entendre que « si la voie de la sagesse ne prévaut pas et qu’on décide de créer de nouvelles chaînes, on rentrera dans la bagarre ».
Derrière cette guerre pointe aussi l’angoisse liée aux concurrents venus d’ailleurs qui pourraient perturber l’équilibre économique des chaînes historiques. Les opérateurs dits over the top, comme Netflix, vont avec l’arrivée imminente de la télévision connectée changer la donne. Il ne s’agirait pas que les chaînes se fassent avoir comme les majors du disque avec le MP3.
Simon Piel