A la mesure de la fascination qu’il suscite, de nombreux chercheurs et romanciers ( Vollmann et son Livre des Violences récemment) ont tenté de saisir les motivations du bourreau. Dans son essai Les Refusants – Comment refuse-t-on de devenir un exécuteur?, l’anthropologue Philippe Breton s’intéresse en contrechamp à ceux qui refusent la violence.
L’analyse de la violence criminelle forme un vaste corpus des sciences sociales. A la mesure de la fascination plus ou moins morbide qu’elle suscite, de nombreux chercheurs et romanciers (cf. Les Bienveillantes de Littell et, plus récemment, Le Livre des violences de Vollmann…) ont tenté de saisir ce qui agite au fond de lui-même l’exécuteur, le bourreau, le complice de la torture ou l’individu soumis à l’autorité.
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Etrangement, le contrechamp de la violence – le refus obstiné d’y recourir – reste flou, comme si le passage à l’acte suscitait plus de curiosité que le fait de s’y soustraire. Il se cache pourtant autant de mystère dans ce refus discret de la violence que de haine dans l’élan furieux qui y mène. C’est le grand mérite de l’anthropologue Philippe Breton, spécialisé dans l’étude de la parole, que de tenter de définir les contours psychologiques de ces individus qui, dans un contexte politique les poussant à commettre des crimes de masse, se rétractent.
Ces “refusants” ont été des soldats nazis, des soldats américains au Vietnam ou français en Algérie, des miliciens hutus au Rwanda ou serbes en Bosnie, des kamikazes islamistes… En détaillant les procédures et la mécanique des pires massacres du siècle passé et d’aujourd’hui, Breton fait le portrait type des exécuteurs : ce n’est qu’à partir de cette figure qu’il invente celle des “refusants”, anomalie dans ces paysages de tueries.
Mais plutôt qu’un héros rompu à un acte de bravoure humaniste, le “refusant” échappe à la posture du résistant courageux : son acte de refus reste individuel, ne s’appuie sur aucun système idéologique. C’est moins un geste d’empathie qu’une incapacité à commettre l’acte qui le définit le mieux : il est simplement “un criminel potentiel qui refuse de le devenir”. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas mu par ce que l’auteur appelle “le principe vindicatif”, c’est-à-dire les ressources de violence que les exécuteurs portent en eux (par la socialisation, l’éducation, le désir de vengeance collectif…). L’individualisme profond et l’impossibilité d’adhérer aux normes dominantes de leur groupe protègent les “refusants” contre eux-mêmes, c’est-à-dire contre la tentation du mal. Le “colmatage de leur bulle intérieure” les sauve du pire sans les porter pour autant vers l’acte de résistance le plus abouti.
Les Refusants – Comment refuse-t-on de devenir un exécuteur ? de Philippe Breton (La Découverte)
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