À Ceuta, enclave espagnole au Maroc, des centaines de migrants africains voient se briser leur rêve de traverser la Méditerranée. Un documentaire retrace leur périple et dépeint leurs désillusions.
« On pensait que c’était l’Eldorado. Beaucoup de confrères ont risqué leur vie et investi beaucoup d’argent pour se rendre à Ceuta. Pourtant, lorsque l’on arrive ici, on se demande si ça valait la peine de partir.” Marius, migrant camerounais, a débarqué depuis quatre mois dans cette ville autonome espagnole située au nord du Maroc. Comme lui, chaque année, des centaines d’Africains habités par l’espoir d’arriver en Europe, atterrissent, souvent au péril de leur vie, dans cette enclave espagnole éloignée d’une quinzaine de kilomètres à peine de la péninsule Ibérique.
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http://youtu.be/RtuOKWRHolE
Le 29 septembre 2005, plusieurs centaines d’entre eux ont tenté de franchir la clôture séparant Ceuta du territoire marocain à l’aide d’échelles de fortune. Les gardes civils espagnols ont alors fait feu, tuant une dizaine de personnes, selon les rapports de plusieurs ONG. Présents en Espagne lors des événements, Loïc H. Rechi (pigiste pour Les Inrockuptibles – ndlr) et Jonathan Millet ont décidé de réaliser un documentaire pour raconter la condition de vie des migrants qui parviennent clandestinement sur ce territoire. “Ceuta s’est imposé comme le point de départ idéal pour témoigner de la fermeture progressive de l’Europe autour de la Méditerranée”, estime Loïc H. Rechi.
“Dieu fait bien les choses, tu vois la mer qui nous bloque”
Après des mois, voire des années de périple, beaucoup d’entre eux pensent être arrivés au bout de leur voyage mais ce territoire n’est pas soumis aux accords de libre circulation de Schengen et un autre mur se dresse rapidement devant eux : la mer. Dans une scène du film, deux personnes contemplent les lumières au loin qui jaillissent du rocher de Gibraltar. L’une d’elle tend alors le bras en direction de ce bout d’Empire britannique et confie à son ami : “Dieu fait bien les choses, tu vois la mer qui nous bloque”.
Dans ce documentaire poignant filmé caméra à l’épaule, on observe le quotidien des migrants qui vivent dans l’espoir d’obtenir un laissez-passer pour le continent européen et dans la peur d’être expulsés vers leur pays d’origine. Plongés dans l’incertitude complète, exilés entre terre et mer, ils tentent de gagner un peu d’argent en lavant des voitures ou en proposant de porter les sacs des autochtones à la sortie des supermarchés. Lorsqu’ils téléphonent à leurs proches, ils sont fiers d’utiliser l’indicatif espagnol (le 0034) mais peinent à décrire le semi-échec de leur voyage vers l’Europe.
“Ma famille me reproche de ne pas appeler mais si je leur dis la vérité, ils ne vont pas me croire. Ils croient que si tu es du côté espagnol, tout va bien, alors qu’ici c’est la merde. Je ne peux pas le dire à mes amis, il ne faut pas que l’on se ridiculise”, déclare l’un d’eux.
Déambulant dans la rue, un Camerounais résume l’état d’esprit qui règne au sein de la communauté des migrants à Ceuta. “Je suis parti car j’ai des petits frères qui souffrent, mais Ceuta pour moi, c’est comme la porte de l’Europe et si l’on est mal accueilli dès l’entrée, ça vous donne envie de repartir.” C’est l’un des objectifs affichés du gouvernement espagnol. Dans “un livre noir” consacré à Ceuta, le réseau Migreurop affirme que la ville est un laboratoire de l’externalisation de la politique européenne d’immigration.
David Doucet
Ceuta, douce prison documentaire de Jonathan Millet et Loïc H. Rechi (Fr., 2012, 1 h 30). Sortie cinéma le 29 janvier 2014.
Disclaimer: Loïc H. Rechi est un ancien journaliste de Slate.fr où officiait l’auteur de l’article.
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