Les livreurs à vélo sont de plus en plus nombreux à arpenter les rues. Beaucoup militent pour l’évolution de leur statut d’auto-entrepreneur. L’un d’eux avait attaqué son employeur pour demander la requalification de son contrat en CDI. La justice prud’homale n’a pas tranché mais le combat des forçats du bitume continue, entre cadences infernales et soif de liberté.
“Cette semaine, je suis en ‘repos’ : je bosse sept jours sur sept, mais seulement le soir.” Assis sur les marches de la place de la République, à Paris, Quentin, 22 ans, veste vert pomme sur le dos, attend sa première commande. “Depuis fin mai, normalement, je fais des semaines ‘dures’ : midi et soir, sept jours sur sept. Mais là, je suis un peu crevé.” Comme lui, ils sont quelques dizaines à patienter là, les yeux rivés sur leur smartphone. À partir de 19 heures, ils s’éparpillent au fur et à mesure des commandes qu’ils reçoivent.
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Comme lui, ils sont des milliers à Paris, mais aussi à Lyon, Lille ou Nantes, à livrer des repas aux citadins paresseux. Deliveroo, Take Eat Easy, Foodora ou UberEats, ces start-up de “foodtech” ont levé auprès des investisseurs des millions d’euros ces derniers mois. Elles font toutes appel à des livreurs. Leur point commun : ils sont auto-entrepreneurs. Pour être embauché, il suffit d’avoir un vélo et d’être disponible, plusieurs fois par semaine, le midi et/ou le soir, sur des “schifts” d’environ quatre heures.
“140 heures en deux semaines”
C’est ce statut d’auto-entrepreneur que Jérôme Pimot entend combattre. Sa procédure contre son premier employeur, Tok Tok Tok, vient d’être renvoyée devant un nouveau magistrat des prud’hommes et prendra au moins un an.
“Pendant ce temps, les boîtes de ce type vont continuer à pulluler et à faire bosser plein de jeunes sous la flotte, à se tremper et à livrer des burgers, le tout, sans aucune protection sociale”, proteste-t-il.
Le nœud du problème, comme avec les chauffeurs de VTC, est le lien de subordination entre les entreprises et les micro-entrepreneurs. Toutes soulignent la “liberté” de leurs livreurs. “Ils travaillent avec l’application. On ne les oblige jamais à travailler. Et ils peuvent, par ailleurs, travailler pour d’autres sociétés”, souligne maître Lecot, avocate de Tok Tok Tok.
Elliott, un livreur, tique : “Avec Deliveroo, si tu décides de ne pas travailler une semaine, tu perds tout ton planning et tu ne peux plus travailler”.
Le statut d’auto-entrepreneur permet aussi de ne pas s’encombrer avec le droit du travail et de promettre des “rémunérations” incroyables pour qui est prêt à pédaler comme un forcené.
“Pour Noël, Deliveroo à proposé de travailler sur tous les ‘shifts’ de la semaine, soit 140 heures en deux semaines, pour être payé 10 euros de l’heure, se souvient Eliott. Personne n’a réussi : c’était trop dur”.
“Beaucoup d’argent rapidement”
Pourtant, Elliott, 33 ans, garde un bon souvenir de ses six mois de livraison. Le jeune papa est déjà un cycliste chevronné ; “Mais il y en a plein qui achètent leur vélo sur Leboncoin. Ils ne savent même pas changer une chambre à air !” se moque-t-il. En quelques mois, il gagne plus que la somme prévue – 3 500 euros pour se payer un vélo.
“J’étais devenu ‘maillot jaune’, un signe que Deliveroo donne à ses meilleurs livreurs. On était mieux payés que les autres et je me suis fait beaucoup d’argent, rapidement.”.
De l’argent facile, d’autant plus que les boîtes ne sont pas concernées par leurs factures. “Moi, je ne déclare rien, je fais l’autruche”, reconnaît Arthur, qui livre depuis plus d’un an. “Je n’ai jamais déclaré l’argent que je touchais”, renchérit un autre.
Des oreilles de lapin pour Pâques
Conséquence : les rémunérations proposées par chacune des entreprises sont bien connues de chacun des livreurs. Chacune des boîtes fonctionne aussi avec un système de bonus (bonus pluie, Euro 2016, …) pour s’assurer un nombre de jambes minimum les soirs de faible motivation. “Le soir où il pleut, tu y vas parce que tu sais que tu vas bosser… Et donc te faire de l’argent, sourit Arthur. Leur plus grande peur c’est de ne pas arriver à faire face aux demandes.”
Et quand un concurrent tente une entrée sur le marché, toute la flotte est attentive :
“Quand UberEats sont arrivés, il payaient mieux que tout le monde, raconte Elliott. Mais ils ont baissé leurs tarifs d’un seul coup et maintenant, plus personne ne veut bosser chez eux.”
Officiellement, en tant qu’indépendants, ils n’ont pas à porter les vestes ou les sacs, roses bleues ou vertes, de leurs entreprises, comme autant de publicités mouvantes dans la ville. D’autant plus que, parfois, les idées des managers paraissent incongrues : “Pour Pâques, Foodora a demandé à tous ses livreurs de mettre des oreilles de lapin ! Le pire c’est que certains l’ont fait”, raconte l’un d’eux.
Un métier dangereux
Qui dit indépendant dit libre, mais aussi… seul. Jérôme Pimot s’est cassé le poignet lors d’un shift. “Un accident bête, je pensais à autre chose, reconnaît-il. Tu appelles et on te dit ‘bon rétablissement”. Mais deux mois d’arrêt ça fait 4 000 euros en moins.” Et là, pas de congés maladie pour faire passer la pilule. Elliott, lui, se souvient d’avoir dû chercher la commande d’un collègue qui s’était fait renverser par un taxi. “Ça fait bizarre, au milieu des pompiers et des flics, de débarquer pour venir chercher les burgers.”.
Officiellement, personne ne demande aux livreurs de pédaler plus que de raison. “Mais quand tu sais que tu es payé à la course, le but c’est de finir le plus vite possible pour en avoir une autre. Évidemment qu’on carbure !” se moque Jérôme Pimot.
Un collectif en formation
Au printemps, l’Urssaf a poursuivi Uber pour qu’ils requalifient le contrat de leurs chauffeurs de VTC en CDI. Une piste qui pourrait être suivie dans le cadre de ces livreurs à vélo. Contacté par Les Inrocks, l’organisme s’est borné à rappeler qu’une “réflexion doit être menée sur le sujet, associant l’ensemble des acteurs.”
Associé à la plainte de Jérôme Pimot, le statut des livreurs à vélo pourrait donc évoluer prochainement. Pour ceux qui tiennent à leur indépendance, un collectif est en train de se créer. Matthieu, 22 ans, affirme avoir fédéré autour de lui plus de 200 cyclistes. Objectif : “Qu’ils arrêtent de faire évoluer les règles du jour au lendemain, sans prévenir.” Et surtout, miser sur la sécurité. “On essaie d’avoir des prix sur les magasins de vélo, de négocier des assurances moins chères, …” détaille-t-il. Pour Arthur, une autre chose pourrait faire évoluer leur condition :
“On grille tous les feux rouges, certains prennent beaucoup de risques. Un jour, ils auront un mort. Et là, ils seront forcément obligés de rendre des comptes”.
Une photo publiée par Deliveroo France ???✌?️ (@deliveroo_fr) le 9 Juin 2015 à 11h45 PDT
*Certains prénoms ont été changés
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