Discours, magazines de mode… le cool est partout. Des chercheurs en sciences sociales se penchent sur cette notion floue mais puissante et mettent en évidence les contradictions d’un objet à la fois source de libération et de contrainte. Avant de devenir un terme de mode, le “cool” désignait une température parfaite, ni trop chaude ni […]
Discours, magazines de mode… le cool est partout. Des chercheurs en sciences sociales se penchent sur cette notion floue mais puissante et mettent en évidence les contradictions d’un objet à la fois source de libération et de contrainte.
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Avant de devenir un terme de mode, le « cool » désignait une température parfaite, ni trop chaude ni trop froide, une sorte de tiède idéal. Par analogie, cette définition s’est transposée à l’attitude, au look, à la fois critique de la culture dominante et prescriptrice de celle-ci.
Les origines du cool
On retrouve la première apparition du « cool » dans les anciennes civilisations d’Afrique occidentale. Son équivalent, le itutu, concept central des religions animistes et des civilisations yoruba et ibo d’Afrique de l’Ouest, désignait le sang froid, un des piliers de ces religions. Puis il s’est incarné dans la posture de rébellion passive des esclaves africains, qui, par un détachement ironique, luttaient contre leurs maîtres blancs, sans que ceux-ci ne s’en rendent compte.
Plus tard, l’aristocratie s’est emparée de cette attitude nonchalante. Les courtisans de la Renaissance italienne se distinguaient par leur dédain et leur mépris envers les difficultés de la classe populaire. Au XIXe siècle, ce sont les poètes anglais qui, par leur ironie, incarnaient une certaine forme de cool.
Plus récemment, le cool est réapparu dans les sociétés occidentales de l’après-guerre sous la forme d’un certain hédonisme égocentrique, qui glorifiait les aventures sexuelles et l’excès d’alcool dans les bars. Dans les années 60 et 70, il devient la norme de référence des beatniks et retrouve son aspect revendicatif originel, tout en perpétuant l’idée d’une quête du plaisir immédiat. Entre lutte politique et prise de bon temps.
Le cool, ou l’art de l’entre-deux
De nos jours, le cool a perdu de son aspect revendicatif pour devenir un phénomène de consommation. Il est davantage l’apanage d’une avant-garde culturelle et stylistique plutôt qu’une revendication sociale à proprement parler.
Pour Pierre Raboud, doctorant et chargé de cours en histoire culturelle et sociale à l’université de Lausanne et membre du blog ThinkTank.li, « le cool se situe dans une perpétuelle tension entre originalité et consommation de masse, entre une élite avant-gardiste et ceux qui la suivent. » De par cette position instable, le cool connaît une mutation perpétuelle : l’élite montre une direction et quand celle-ci est suivie par la masse, il est alors nécessaire de la réinventer et ainsi de suite.
La quête du cool place donc le sujet dans une situation psychologique complexe : comment s’intégrer à l’environnement tout en réussissant à s’en distinguer ? Comment être à la fois original sans passer pour un marginal absolu ? Tout l’art du cool se situe dans cet entre-deux, qu’il s’agit de manier avec finesse. On pense à certains spectateurs de la Fashion Week qui poussent la quête de l’originalité jusqu’au ridicule et au conformisme des cours de lycée : tous les élèves portent les mêmes vêtements, une sorte d’uniforme du cool imposé, qui sera désuet quelques mois plus tard.
L’individu et le groupe, le cool comme source d’angoisse et de reconnaissance
Abraham Maslow, psychologue américain, place le besoin d’appartenance en troisième position dans sa théorie de la motivation, juste après les besoins physiologiques et la sécurité. L’être humain est un animal social : il préfère s’offrir une casquette, si tout le monde en porte, plutôt qu’une chose qui lui fait plaisir, ou dans laquelle il s’exprime. Remplacer le mot casquette par le mot iPhone et tout prend sens. Pierre Raboud le résume ainsi : « le cool influe sur nos vies en tant que quête de distinction. Via le cool, nous cherchons à nous assurer une image sociale positive grâce à une consommation ostentatoire. Cette quête peut représenter une part importante de notre temps voire de notre argent. »
En effet, ce besoin d’appartenance est supérieur au besoin d’estime et à celui d’accomplissement de soi. Le cool, à la fois source de reconnaissance et d’accomplissement serait, selon cette logique, une forme de luxe, un besoin secondaire. Le danger est alors la création de hiérarchies sociales : ceux qui ont les moyens d’être cool et les autres. Que ce soit financièrement ou culturellement.
On peut d’ailleurs appliquer au cool la théorie du capital culturel de Pierre Bourdieu. Tout le monde ne possède pas le même « capital cool », ni les mêmes chances de progresser socialement à cause de cette différence de capital. Une violence symbolique en résulte et avec elle une souffrance, due à l’exclusion du groupe qui est considéré comme l’élite.
Le cool émancipateur
Malgré cette violence symbolique , le cool a été de nombreuses fois, au cours de l’histoire, un outil d’émancipation efficace.
Dans leur article La coolitude comme nouvelle attitude de consommation : être sans être là, Isabelle Barth et Renaud Muller définissent le cool comme l’attitude qui consiste à « afficher une distance avec la loi, les convenances » et la détaillent en trois degrés :
Le premier, la « coolitude raisonnée » est une manière de se protéger momentanément des contraintes extérieures en s’en détachant l’espace d’un instant. Elle est plutôt anecdotique et très individuelle. Vient ensuite la « coolitude par convenance » qui dépasse le niveau individuel. C’est le groupe entier qui fait preuve de mépris et de nonchalance face à des contraintes sociales. Les auteurs prennent comme exemple les rituels funéraires, de moins en moins longs, que l’on expédie de plus en plus pour retourner à « la vie » et à ses plaisirs. Enfin, le dernier degré est le plus émancipateur, la « coolitude active et transgressive », « une logique du plaisir à transgresser les normes. » C’est dans cette démarche que sont nés de nombreux mouvements culturels minoritaires qui ont acquis une certaine légitimité à revendiquer leur identité et ainsi à s’affranchir de la domination, voir à obtenir des droits.
C’est le cas de certains esclaves africains, qui, par leur attitude cool on réussi à construire une culture propre et à se protéger de l’aliénation de leur classe. On retrouve encore des traces de cette culture aujourd’hui. La capoeira en est un exemple : ce sport de combat répond exactement à la définition de cool. Il est nonchalant, lent et esthétique. A tel point que les maîtres blancs ont cru qu’il était une danse. Victoire du cool.
Pierre Raboud voit dans ce phénomène d’émancipation des effets paradoxaux : « Le problème avec le cool, c’est qu’il implique un processus de récupération extrêmement rapide, impliquant à la fois sa marchandisation et la neutralisation de son potentiel émancipateur. Ainsi la culture dominante se nourrit des créations des groupes par ailleurs dominés. […] On peut ainsi quasiment suivre l’histoire de la pop music américaine comme une récupération constante par l’industrie des musiques afro-américaines, que ce soit le blues, le rock’n’roll, la techno et évidemment le hip-hop, genre qui voit aujourd’hui des artistes comme Miley Cyrus ou Macklemore voler les prix aux artistes afro-américains ayant œuvré à populariser le genre lors des derniers Grammy Award. »
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