Dans la nuit de mercredi à jeudi, le tribunal correctionnel de Pontoise a jugé Bagui et Youssouf Traoré, deux frères d’Adama, coupables des faits d’outrages, de menaces et de violences envers huit policiers et gendarmes. Ils ont respectivement été condamnés à huit et trois mois de prison.
Dans la salle d’audience, on entend quelqu’un lui crier “Bon courage”. Bagui Traoré lève le pouce en l’air, et disparaît, accompagné de son petit frère Youssouf Traoré. Ils sont calmes, dignes, fatigués, sans doute, aussi : le procès a duré plus de dix heures et, surtout, le cauchemar dans lequel est plongée leur famille depuis cinq mois vient de s’épaissir un peu plus.
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Il est environ minuit et demi, et les deux frères d’Adama Traoré, jeune homme de 24 ans décédé en juillet dernier lors de son interpellation par des gendarmes à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), viennent juste d’apprendre leur condamnation par le tribunal correctionnel de Pontoise. Ils étaient jugés pour des faits d’outrages, de menaces de mort et de violences à l’encontre de plusieurs membres des forces de l’ordre chargés d’encadrer le conseil municipal de Beaumont-sur-Oise du 17 novembre, où plusieurs personnes, dont des membres de la famille Traoré, s’étaient vu refuser l’accès et où la situation avait dégénéré.
Bagui, 25 ans, écope de huit mois de prison ferme, assortis d’une interdiction de séjour de deux ans dans sa commune d’origine pour “violences”. Pour “outrages et menaces de mort” à l’encontre de deux policiers, Youssouf, 22 ans, est lui condamné à trois mois d’emprisonnement – la peine étant aménageable, il sort libre. Avec son aîné, ils devront en outre payer plus de 7 000 euros de dommages et intérêts aux deux gendarmes et six policiers qui se sont portés partie civile dans le dossier.
« Donc vous basez vos dépositions sur ce que vous disent vos collègues ? »
Pourtant, tout au long de l’audience, “Monsieur Bagui” et “Monsieur Youssouf”, comme les appelle la présidente du tribunal, n’auront cessé de clamer leur innocence. “Je ne reconnais rien, je n’ai rien fait de tout cela, c’est un complot”, assure Bagui, les yeux au ciel, évoquant une “pièce de théâtre” avec énervement – de quoi pousser sa mère, présente dans la salle, à lui enjoindre de se calmer en l’appelant par son prénom.
Même discours, en plus effacé, chez Youssouf, qui “ne comprend pas ce qu’il fait là”. Non, ils n’ont ni frappé ni traité de “fils de putes et d’enculés » les forces de l’ordre. Non, ils n’ont pas proféré de menaces de mort à leur encontre. Oui, ils étaient présents ce soir-là. Mais ils l’assurent, leur seule volonté était d’assister à ce fameux conseil municipal, à l’ordre du jour corrélé à leur histoire familiale : suite à l’affaire Adama, Nathalie Groux, maire UDI de Beaumont-sur-Oise, voulait ce soir-là voter sa “mise en protection fonctionnelle” – financée par la mairie – après qu’elle avait porté plainte pour “insultes, outrages et menaces”. Une décision décriée par la famille Traoré, très critique contre l’édile – qui a, par la suite, finalement obtenu cette mise sous protection.
Les policiers et gendarmes parties civiles, eux, disent le contraire. Ou, du moins la plupart. Certes, le chef de la brigade de gendarmerie de Persan assure “avoir identifié formellement Bagui Traoré”. Mais les autres ? Me Yassine Bouzrou, avocat de la famille, “constate des déclarations évolutives” chez plusieurs membres des forces de l’ordre interrogées. Exemple. “Madame, vous avez indiqué que nous n’aviez pas vu qui vous avait frappée. Lors de la première audition, vous avez porté plainte contre X. Pourquoi, lors de la seconde audition, avez-vous porté plainte contre Bagui ?” Réponse de la policière, qui a obtenu un jour d’ITT suite au coup de poing reçu : “On m’a dit formellement que c’était Bagui Traoré”. Me Bouzrou, acide : “Donc vous basez votre déposition sur ce que vous disent vos collègues ?”
La même femme avait affirmé juste auparavant, qu’à cause du gaz lacrymogène qu’elle-même avait lancé, “afin de protéger ses collègues, menacés”, elle n’a pu voir qui lui avait asséné ce coup de poing.
« Une enquête bidon, une enquête pourrie »
En outre, personne ne semble avoir entendu et vu la même chose ce soir-là. La veste qu’était censé porter Bagui Traoré, par exemple, a été utilisée par l’accusation comme un élément permettant l’identification du jeune homme, grâce à une vidéo tournée au moment des débordements, à défaut d’une identification formelle. Mais ce vêtement est décrit successivement comme beige, “camel” ou marron.
On en parle beaucoup, de cette veste, à l’audience. Pourtant, aucune perquisition n’a été faite au domicile de Bagui Traoré afin de vérifier l’existence de ce fameux vêtement – l’accusation mettant en avant “la présence de chiens dangereux” au domicile des Traoré, ce que la famille nie en bloc.
Autre sujet récurrent : les grosses bagues portées habituellement par Bagui – “Si j’avais frappé la policière avec mes bagues, elle n’aurait plus de tête!” – ou encore la “coupe de cheveux atypique”, ressemblant à des “sortes de tire-bouchons” de Youssouf. Pas de mention en revanche, ou si peu, de l’affaire sous-tendant la présence de tous aujourd’hui, mais dont l’ombre plane durant toute l’audience : la mort d’Adama Traoré.
Une position assumée par le procureur pour lequel “un tribunal n’est pas une tribune” et qui, bien que le décès du jeune homme n’ait été que très peu évoqué durant l’audience, “a eu parfois l’impression qu’on essayait de dévier complètement l’objet de ce procès pour faire un show”. Tout comme Me Caty Richard, avocate de l’accusation, il récuse toute idée “d’acharnement” des forces de l’ordre sur la famille Traoré. Evoquant “une belle opération d’agit-prop, avec un service judiciaire et un service de communication” pour qualifier les déclarations des témoins de la défense, et estimant nécessaire “le besoin de sérénité et de paix des habitants”, il réclame dix mois d’emprisonnement ferme et trois ans d’interdiction de séjour à Beaumont pour Bagui, mettant en avant son passif judiciaire – 12 mentions pour vols, menaces et extorsions avec violences sur son casier, le jeune homme écopant en ce moment-même de six mois de prison – ainsi que six mois d’emprisonnement dont trois avec sursis pour Youssouf.
Me Bouzrou, lui, préfère évoquer “une enquête bidon, une enquête pourrie” et appelle à “faire la différence entre ce qu’on a constaté et qu’on a entendu dire”. Tout comme sa consœur Me Noémie Sadi-Cottier, qui dénonce un “dossier totalement à charge”, il demande la relaxe de ses clients.
Après une longue délibération, le tribunal ne leur donnera pas raison. “Il faut qu’on discute avec notre client de l’éventualité de faire appel”, dit Me Bouzrou. Assa Traoré, l’une des sœurs des prévenus, est amère à la sortie : “Si ce n’est pas de l’acharnement, je ne sais pas ce que c’est. Depuis le 19 juillet, on essaie de détruire notre cellule familiale. Ce soir, on en a encore la preuve.”
Ce soir, aussi, son frère Bagui retournera en prison avec, pour avenir, huit mois d’emprisonnement supplémentaires. Les gendarmes qui ont interpellé Adama Traoré il y a cinq mois, eux, n’ont toujours pas été mis en examen.
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