A Bangui en Centrafrique où se trouve notre reporter, la situation semble de plus en plus tendue. Reportage.
[De Bangui] Cinq coups qui viennent rompre un silence de trois nuits. Rendue muette par un couvre-feu qui officie dès 18h, la capitale de la Centrafrique, Bangui, se réveille brusquement. La rue bruisse de moteurs puissants. Ce sont les journalistes et les militaires. Depuis trois jours et le départ de François Hollande – qui avait amené les forces françaises à se retirer de la ville pour sécuriser l’aéroport, provoquant la mort de dizaines de personnes – la ville était calme. Tous les jours, deux enfants mouraient de faim dans le camp de réfugiés entourant l’aéroport. Une ou deux victimes de balles perdues étaient accueillies par l’hôpital de fortune créé par MSF. Mais les armes lourdes avaient fait silence. Et les commerces avaient rouverts.
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Les tirs se rapprochent des ambassades. Il s’agirait du quartier de Gobongo. Une étrange frénésie s’installe. Les rumeurs fusent – un correspondant d’AP annonce que la femme et les enfants du président de transition Djotodia viennent d’être évacués sirènes hurlantes vers l’aéroport. De correspondants, ils ne sont plus qu’une trentaine – contre 100 deux jours auparavant. Le génocide était alors dans toutes les bouches. L’arrivée des forces françaises avait fait refluer les machettes dans les faubourgs. La mort était devenue invisible.
Cinq tirs qui renversent – peut-être le temps d’une nuit – les perspectives. La journée avait été belle. Le Président de transition – qui cristallise toutes les tensions – venait d’annoncer la tenue de nouvelles élections en 2014, un an avant la date prévue. La France se disait satisfaite. Le Général Soriano, en charge de l’opération militaire, présentait lors d’une conférence de presse un bilan sans ombres. Samantha Power, ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, avait fait une halte sur place – annonçant une normalisation de la situation que tous les correspondaient pensaient deviner. Les réfugiés continuaient, eux, à traverser la piste de l’aéroport devant son avion aux couleurs d’Air Force One.
Cinq tirs ont déchiré l’air cramoisi de Bangui. Cinq tirs qui rappellent la cruelle réalité d’un conflit. Celle de la faim et de la misère, plus présentes que jamais, plus oubliées que jamais. Face à une espérance de vie de 48 ans, les stratégies sécuritaires ont leurs limites. Dans les villages entourant Bangui, les anti-balaka, milices chrétiennes, tiennent toujours les mêmes discours. Et préviennent : si le Président musulman, arrivé au pouvoir par le truchement d’un coup d’État en mars, ne démissionne pas avant Noël, une nouvelle offensive permettra sa chute. Celle qui a coûté la vie à plus de mille personnes début décembre ne serait qu’une répétition générale.
« Les Tchadiens et les Soudanais pillent la Centrafrique. Même leurs femmes et leurs enfants veulent nous tuer. Si la communauté internationale ne fait pas tomber le Président, alors les musulmans payeront. »
Menace d’un étranger fantasmé, essentialisation d’une communauté, négation de leur appartenance à la même société. Les mots en rappellent d’autres. La pente est présente. Heureusement, les moyens manquent.
Cinq tirs ont réveillé Bangui. Un hélicoptère français patrouille toutes lumières éteintes. Les combats se sont étendus à plusieurs quartiers. MSF avait décidé de passer la main à la Croix-Rouge. Ils vont devoir rester.
Juan Branco
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