L’hebdomadaire « Oise Hebdo » s’est vu condamner, vendredi 14 août, à un retrait des kiosques en raison d’un article polémique. Couve trash de trop ou atteinte à la liberté de la presse ?
Oise hebdo a-t-il été trop loin ? Paru en kiosque le mercredi 12 août, le dernier numéro de l’hebdomadaire régional, tiré à 27 000 exemplaires et diffusé dans le département dont il porte le nom, vient d’être interdit par le tribunal de grande instance de Beauvais.
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Malgré son faible tirage, les couvertures macabres d’Oise Hebdo sont aussi célèbres sur les réseaux sociaux que celles – plus anxiogènes – de Valeurs actuelles. Pour contrer ces railleries, la rédaction du journal avait même décidé de ne plus les diffuser en ligne depuis la fin de l’année 2011 et un article moqueur du Canard enchaîné. « Cela évitera aux internautes et aux journalistes parisiens de se rendre ridicules à force de mélanger actualité locale et ‘world news' » avait déclaré Vincent Gérard, le fondateur du journal, dans un édito.
« Tournage d’un film porno dans un parc du centre ville »
Exemples de unes : “Le pompier pyromane et mythomane en prison », à « Deux mortes dans la BMW: il raconte sa soirée fatale” Les journalistes n’hésitent pas à dévoiler l’identité des principaux intéressés dans les affaires, titrant avec leurs noms et prénoms. Récemment en mars 2015, le “tournage d’un film porno dans un parc du centre ville”, avait également fait réagir de nombreux internautes.
Oise Hebdo ne connaît AUCUNE limite… pic.twitter.com/PKXGSsJKR9
— P.G. Creignou (@pgcreignou) 13 Mars 2015
A la manière de certains tabloïds anglais très populaires, le journal entend traiter de tous les faits divers quitte à les mettre en scène. Dans une interview consacrée à Télérama en 2011, Vincent Gérard justifiait cette ligne éditoriale sensationnaliste : « Ceux qui me font ce procès ne doivent pas beaucoup lire Le Monde ou Le Figaro. Parce que le jour où Mandela va mourir, ils vont en faire des tonnes et personne n’aura l’idée de le leur reprocher. Moi, je considère l’Oise comme une nation. Et Oise Hebdo comme un journal national ». Rien que ça.
La une morbide de trop ?
Seulement cette fois ci, Oise Hebdo s’est vu censurer par le tribunal de grande instance de Beauvais. La raison ? Un article qui relate le présumé suicide d’un commerçant de Beauvais. Le tribunal a estimé que l’article en question portait “atteinte à la vie privée”, notamment de la famille du défunt. Les juges ont donc exigé que journal retire ses exemplaires des points de vente, à partir du samedi 15 août à 18 heures, sous peine de 500 euros d’amende par heure de retard, rapporte le site du JDD.
Les deux journalistes à l’origine de l’article auraient évoqué les circonstances de l’accident, tout en dévoilant des éléments biographiques de celui qui tint de responsabilités associatives à Beauvais. Pour Me Catherine Baclet-Mellon, l’avocate de la famille du défunt, ce papier constitue « une atteinte à son deuil ». L’avocate a eu recours à une procédure d’urgence pour demander le retrait des kiosques des exemplaires du journal, « pour éviter [à la famille] de supporter le regard des autres. »
Contacté par Les Inrocks, Vincent Gérard, le fondateur d’Oise Hebdo, s’insurge : “C’est la liberté d’informer dans les faits qui est atteinte. On a l’impression qu’on est en Chine, qu’il faut faire croire que tout va bien alors que pas du tout.” L’ancien journaliste du Figaro se dit choqué de cette accusation « intolérable » dont son journal fait l’objet.
« On informe seulement que le commerçant décédé a deux enfants, en quoi cela porte-t-il atteinte à la vie privée ?”, s’indigne t-il. Vincent Gérard souligne que les rédacteurs ont simplement effectué leur travail de journalistes. Il ajoute notamment que l’homme décédé est « très connu » dans la région, que les faits sont intervenus sur la voie publique, ce qui donne aux citoyens le droit d’être informés.
Une atteinte à la liberté de la presse ?
Cette décision interpelle également Patrick Eveno, historien des médias et président de l’ODI (Observatoire de la déontologie de l’information). Pour lui, « les juges ont outrepassé leurs pouvoirs, en voulant utiliser des techniques de censure d’un autre temps, qui ne devraient pas avoir lieu dans un pays démocratique ». Il affirme que les restrictions comme celles-ci se font dans des cas très précis, pas lorsqu’il y a « atteinte à la vie privée ». « Les personnes concernées peuvent demander des dommages, mais pas une interdiction comme celle-ci, qui relève d’une autre nature ». Patrick Eveno estime que les juges ont tout simplement enfreint la liberté de la presse.
Le Syndicat national des journalistes est lui aussi en colère. Dans Le Journal du dimanche, il qualifie la décision de “rarissime” et dénonce une “atteinte grave à la liberté d’informer”. Malgré la décision de justice, Vincent Gérard a déclaré qu’aucun exemplaire ne serait retiré des kiosques. Le patron d’Oise Hebdo a fait appel du jugement. « Si la cour n’annule pas ce jugement, il y a un risque de jurisprudence très grave pour la liberté de la presse », conclut-il.
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