Mardi à l’Assemblée nationale, Cécile Duflot a encaissé une volée de critiques parce qu’elle portait une robe. Christine Bard, historienne et féministe, décrypte l’épisode.
Décidément, en matière de vêtement, Cécile Duflot semble avoir toujours tort. La robe qu’elle portait mardi à l’Assemblée nationale lui aura valu quelques remarques sexistes de la part de députés UMP. La scène se déroule lors de la séance des questions au gouvernement, quand le député-maire de Neuilly, Jean-Christophe Fromantin (UDI, centriste), interpelle le Premier ministre sur l’avenir du Grand Paris. En sa qualité de ministre de l’Egalité des territoires, Cécile Duflot prend la parole pour lui répondre. Elle descend les marches qui la séparent du micro lorsqu’un brouhaha s’élève de l’hémicycle. Quelques quolibets fusent depuis les rangs des députés UMP, qui semblent ainsi marquer leur désapprobation à l’égard de la robe printanière, blanche à motifs bleu, portée par l’intéressée. Le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone tente de rétablir le calme, mais Cécile Duflot ne se démonte pas et enchaîne : « Mesdames et messieurs les députés, mais surtout messieurs visiblement… »
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Cécile Duflot chahutée à l’Assemblée par LeNouvelObservateur
En mai dernier déjà, la ministre fraîchement nommée avait été la cible de critiques émanant de la droite – et en particulier de Nadine Morano – pour avoir porté un jean au Conseil des ministres. Si les internautes n’ont pas tardé à s’indigner du comportement des députés, notamment sur Twitter, la plupart des élus de droite ne mouftent pas. Peut-on lire dans ce silence gêné l’aveu d’une conduite un peu vulgaire ? Certains cependant se sont risqués à commenter l’incident… pour le pire, sans doute.
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« Il y aurait eu le même type de chahutage (sic) si un homme avait porté une cravate fluo orange« , tempère Laurent Wauquiez, député UMP de Haute-Loire, ce mercredi sur France Info. Tout en précisant qu’il n’a lui-même pas participé à ce « moment pas très glorieux« . Patrick Balkany quant à lui, enfonce le clou, avec la délicatesse qu’on lui connaît. « Nous n’avons pas hué ni sifflé Cécile Duflot, nous avons admiré« , précise le député (UMP) des Hauts-de-Seine au Figaro. Tout le monde était étonné de la voir en robe. Elle a manifestement changé de look, et si elle ne veut pas qu’on s’y intéresse, elle peut ne pas changer de look. D’ailleurs, peut-être avait-elle mis cette robe pour ne pas qu’on écoute ce qu’elle avait à dire. »
Vous avez dit sexisme ?
Une explication qui fait beaucoup rire (jaune) Christine Bard, auteure d’une Histoire politique du pantalon en 2010. « Faire passer le sexisme pour une preuve d’admiration, c’est vieux comme le monde ! » s’exclame-t-elle. « On a surtout, en France, une tolérance vis-à-vis de ces propos sexistes qui est affligeante. » Contactée par les Inrocks, l’historienne insiste sur le caractère « discriminatoire » de cette réaction « complètement déplacée de la part d’élus« , dont la sexualité demeure le sous-titre :
« Elle n’a encore rien dit, elle est juste là. Sa simple présence suscite des commentaires. On la ramène à sa manière de s’habiller. Certains parlementaires la regardent, mais ne veulent pas l’entendre. »
« Depuis longtemps, les tenues des femmes de pouvoir polarisent le débat, explique-t-elle encore. C’est un moyen de cristalliser l’attention sur quelque chose d’anecdotique. » On se souviendra des tailleurs flashy de Roselyne Bachelot, qu’elle s’était résolue à laisser au placard, sur les conseils de François Fillon. Difficile pour les femmes politiques – et de pouvoir, en règle générale – de trouver le juste milieu. « Elles sont dans une difficulté permanente. Il faut que ce soit un peu, mais pas trop… Les pièges sont partout, elles ont toujours tort. » Tandis que les hommes « portent l’uniforme de la masculinité, sont protégés par un code vestimentaire, qui caractérise leur position de pouvoir. »
Changer le regard des hommes
Pour l’historienne, le look de Cécile Duflot, et son éventuel décalage avec les ors de la République, exprime « avec intelligence » ses idées de gauche. « C’est une jeune femme qui a une grande liberté vestimentaire, parfaitement conforme aux valeurs qu’elle défend. Elle affiche son étiquette politique. » Et c’est aussi, selon elle, ce qui agace les députés de droite.
Dans tous les cas, l’enjeu reste de lutter contre le « sentiment d’impunité des parlementaires » et « de changer le regard des hommes« . « Le problème n’est pas du côté des femmes« , conclut Christine Bard, qui affirme avec force défendre « la liberté absolue des femmes à s’habiller comme elles le souhaitent.«
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