L’hebdomadaire « Marianne » a révélé que le quotidien communiste, en grandes difficultés financières, était en cessation de paiement. Le Tribunal de commerce statuera sur son avenir lors d’une audience, mercredi 30 janvier.
“L’Humanité ne peut plus faire face à ses dettes.” Voilà l’accroche du papier de Marianne ayant révélé comment le quotidien communiste, en cessation de paiement, a été placé sous protection du Tribunal de commerce la semaine dernière. Une information confirmée dans les colonnes du principal intéressé dans son édition de lundi 28 janvier : Patrick Le Hyaric, directeur de l’Huma, y relaie leur appel pour une “mobilisation générale” en faveur du titre créé par Jean Jaurès, en 1904. “Dès maintenant, nous plaçons l’Humanité sous protection populaire et citoyenne”, assure-t-il notamment, expliquant en effet que “l’avenir de l’entreprise” se jouera lors d’une audience au Tribunal de commerce, mercredi 30 janvier.
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Deux possibilités, en gros : soit les juges acceptent le plan de continuation présenté par la direction – “Nous plaidons la continuité de l’exploitation de l’Humanité”, développe Le Hyaric dans son appel – et un redressement judiciaire pourrait être prononcé, permettant ainsi au quotidien continuer à exister, soit le tribunal refuse, entraînant la liquidation judiciaire du journal… Et a fortiori le licenciement de l’ensemble de l’équipe. Selon Marianne, les 175 salariés du titre devraient être payés ce mois-ci via le régime de garantie des salaires (AGS). Une collecte de dons est ouverte, tandis qu’une soirée de soutien en faveur du quotidien a été annoncée à la Bellevilloise, à Paris, le 22 février prochain.
“Aucune banque n’a voulu à cette heure s’engager à nos côtés”
Mais comment le journal est-il arrivé à cette situation ? Les difficultés financières de l’Huma ne sont pas récentes. “Malgré nos alertes répétées auprès des institutions garantes du pluralisme de la presse, malgré nos demandes réitérées d’une répartition plus équitable des dépenses publicitaires des grandes entreprises et institutions publiques, malgré nos efforts constants pour assainir nos finances, l’Humanité ne tient que grâce à votre soutien [celui des lecteurs, ndlr]. Et aujourd’hui, avouons-le, elle ne tient qu’à un fil”, assurait Patrick Le Hyaric dès 2016, lançant déjà à l’époque un appel aux dons qui avait rapporté un peu plus d’un million d’euros. En cause selon ce papier de Libé : une dette “très élevée”, empêchant au quotidien de se remettre à flots. Or, comme indiqué dans l’appel à la “mobilisation générale”, “aucune banque n’a voulu à cette heure s’engager à [leurs] côtés”. D’où la situation actuelle, et ce, malgré le fait que “durant l’année 2018, le nombre d’abonnés à l’Humanité et l’Humanité dimanche a progressé” et que “les ventes en kiosque en novembre et décembre sont bonnes”.
Patrick Le Hyaric, qui, via l’entremise de son attachée de presse, a répondu à notre sollicitation d’entretien en disant ne “plus faire de communication sur la mobilisation dans un premier temps”, poursuit ainsi son appel : “Il ne s’agit pas d’abord d’un enjeu comptable. C’est une question politique de premier ordre qui interroge une société soucieuse de l’expression du pluralisme des idées, de la démocratie (…) Au moment où les médias connaissent une telle crise de confiance, l’engagement constant de l’Humanité aux côtés des travailleurs, des milieux populaires, des ‘invisibles’, des penseurs qui contestent le système, des créateurs qui portent haut la culture constitue un atout pour le journalisme et un atout pour l’exercice de la citoyenneté.” L’Huma n’est en effet pas un journal comme les autres, comme l’a rappelé dans un intéressant thread sur Twitter Mathilde Larrère, historienne des révolutions et de la citoyenneté.
En difficulté financière, le quotidien L'Humanité a été placé "sous la protection du tribunal de commerce de Bobigny
pour le soutenir, ce petit fil d'histoire sur l'@humanite_fr
⤵️ pic.twitter.com/qQPQJgsUnI— Mathilde Larrere (@LarrereMathilde) January 27, 2019
Contactée par les Inrocks, elle développe : “L’Humanité est un sacré cas particulier, car la presse a très largement été dominée dans son histoire par des titres plutôt libéraux, et possédés par des grands groupes. Or l’Huma a dans son histoire été en faveur des idées portées par le monde ouvrier, et, même si c’est moins le cas maintenant, était aussi rédigé et fabriqué par le mouvement ouvrier, d’une certaine façon. Les correspondants photos par exemple étaient des ouvriers, la vente militante était faite aussi par eux.”
« Accompagné toute l’histoire du mouvement ouvrier, toute l’histoire de la gauche »
Rappelant d’ailleurs comment, dès 1930, le quotidien créait la Fête de l’Huma pour pallier ses “grandes difficultés financières”, le Parti communiste étant en cette période pré-Front Populaire “complètement groupusculaire”, l’historienne explique également que le journal a bien changé depuis sa création : “Il a été créé par Jaurès dans un souci d’indépendance, et finalement d’assez grande pluralité de la diversité du mouvement ouvrier, du mouvement socialiste. En revanche, dès qu’il passe sous l’égide de la SFIC (Section française de l’Internationale communiste), qui deviendra le parti communiste, il devient l’organe du PC. D’une certaine façon, l’indépendance est perdue à ce moment-là. Mais en même temps, on ne va pas effacer l’histoire du PC, qui est réelle – il ne faut quand même pas oublier qu’en 1947, c’est le premier parti de France.”
Et d’ajouter, rappelant la défense des droits politiques des femmes ou encore l’engagement anti-colonialiste et dans la résistance du quotidien : “C’est un journal qui a accompagné toute l’histoire du mouvement ouvrier, toute l’histoire de la gauche – et d’ailleurs également parfois ses heures sombres, en soutenant par exemple très clairement l’URSS et le stalinisme. Mais s’il venait à ne plus exister, au-delà de la question du pluralisme politique et de la suppression d’un titre de presse – qui sont d’autres arguments pour son maintien, même si le pluralisme ne cesserait pas complètement avec l’Huma, d’autres titres sur le web notamment portant cela aussi bien, voire de façon plus radicale -, ce serait quasiment un monument historique, un lieu de mémoire en tant que tel qui disparaîtrait. Et les lieux de mémoire, ça n’est pas rien.”
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