Depuis 2009, la presse féminine a connu d’importantes mutations. A côté de titres traditionnels, les insolents Causette et Paulette ont réussi à imposer un style décalé.
Un vent de folie souffle sur la presse féminine. Dans quelques semaines, les versions françaises des titres cultes Harper’s Bazar et Vanity Fair vont débarquer dans les kiosques. Le 18 avril, le groupe Marie-Claire lançait Stylist, un hebdomadaire gratuit diffusé à 400 000 exemplaires. Depuis quatre ans, ce secteur connaît un regain de dynamisme et suscite l’engouement. Entre août 2009 et mars 2010, sont apparus Be (groupe Lagardère), Envy (groupe Marie-Claire) et Grazia (Mondadori). Quelques mois après leur lancement, le premier rachetait le deuxième alors que le troisième s’imposait dans le peloton de tête du secteur en termes de recettes publicitaires. Un phénomène qui s’explique par la bonne santé financière de l’industrie du luxe. Elle représente l’essentiel des annonceurs de ces titres, et la source principale de leurs revenus. Dans ce tourbillon, deux féminins sans moyens sortent du lot par leur audace : Causette et Paulette.
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« C’est gratifiant d’être dans un journal qui gagne des lecteurs. »
Causette donna le ton dès son premier numéro, en mars 2009 : en couverture, une jeune femme sourit, seins à l’air, en regardant un CRS, parodiant la célèbre photo de Dany Cohn-Bendit en mai 1968. Une rubrique connaîtra vite un vif succès : « On nous prend pour des quiches ». Le journal y répertorie des événements ou propos misogynes et machos. « J’ai d’abord aimé Causette comme lectrice, pour son engagement féministe », explique Julia Pascual, jeune journaliste embauchée il y a deux ans, après avoir travaillé pour Libération. On devine d’ailleurs une proximité avec des mouvements militants tels qu’Osez le féminisme, rendu célèbre par sa campagne « Osez le clito ». « Par ailleurs, comme journaliste, on a une vraie liberté. Je peux travailler sur des enquêtes pendant plusieurs mois, comme pour celle sur le harcèlement sexuel en politique, précise Julia Pascual. Et c’est gratifiant d’être dans un journal qui gagne des lecteurs. Libération en perd depuis dix ans… »
Passé en septembre 2011 du rythme bimestriel à mensuel, Causette est tiré à 120 000 exemplaires pour 50 000 ventes environ. « Je lis de moins en moins la presse, qui me navre. Avec Causette, j’ai tout de suite accroché. C’est la première fois que je m’abonne à un journal », témoigne Gwendoline Raisson, auteur pour la jeunesse, qui publie une BD pour adultes, Mères anonymes (Dargaud), où elle détruit avec humour le mythe de la mère épanouie. Et d’ajouter : « Causette, c’est l’anti- Elle. Il y a une façon d’écrire qui ressemble à mes discussions entre copines. Les autres féminins, ce n’est pas mon monde. »
La différence, sur la forme, est assez radicale : presque pas de pubs, pas d’articles « conso », pas de pipoles ni de mannequins. Et un ton volontiers provocateur pour parler du corps ou de la sexualité : « Slurp ! Les secrets de la langue », « La vulve sort du bois », « Sexe partout : lâchez-nous le minou »… « Elles ne prennent pas de précautions, c’est tout le contraire des magazines sur papier glacé avec leurs articles glacés, commente Gwendoline Raisson. Pourtant, le contenu est très inégal, parfois décevant. En culture, c’est un peu léger. J’ai hésité à me réabonner et ce qui m’a décidée, en fait, c’est que je me marre en le lisant. »
Assumer le côté girly
Paulette a croisé la route de Causette à ses débuts sur le net. « Leur directeur a voulu me voir, raconte Irène Olczak, 27 ans, fondatrice de Paulette. En fait, c’était pour m’accuser d’avoir piqué leur idée et me menacer : si tu sors en kiosque, je t’attaque en justice… Il a finalement compris que nos projets n’avaient rien à voir. » Paulette, qui s’adresse à un public plus jeune, ne parle guère de politique ni de féminisme, assume un côté girly et un penchant pour la consommation.
Directrice artistique de formation, Irène Olczak veut mettre en avant de jeunes créateurs. Mais en refusant les réflexes des autres féminins.
« Adolescente, j’achetais des magazines à 1 ou 2 euros qui me conseillaient d’acheter des fringues à 400 euros… Il n’y avait pas de journal pour moi, se souvient-elle. Il y a un public de filles qui aiment la mode et n’ont pas de gros budgets. Je veux faire un magazine pour elles, populaire et classe. Sans les top models des féminins, qui sont toutes blanches, minces et ultraformatées. Dans Paulette, ce sont nos copines qui posent. Il y a une diversité des genres et des formes. » Comme le proclame la une du numéro d’avril-mai, sur les « nanananas » : « Je suis une fille ananas, je suis belle, ronde et… charnue. »
Après avoir travaillé dans la mode et la pub, Irène Olczak a bâti son projet étape par étape : une page Facebook, un site internet, un prêt de 30 000 euros à taux zéro – « que je commence à rembourser » -, puis un premier numéro en précommande. Divine surprise : elle reçoit 5 000 réponses d’abonnement pour trois numéros, à 9,99 euros. En octobre 2011, sort le premier numéro. En février 2012, c’est la diffusion en kiosque, permise cette fois grâce à une levée de dons sur My Major Company, un site de financement participatif, d’un montant de 35 000 euros. Diffusé à 25 000 exemplaires, Paulette en vend environ 13 000. Et peut compter sur le soutien de 400 lectricesambassadrices. Le journal les fait participer à tous les niveaux : elles peuvent écrire des articles, envoyer des photos, poser… et même faire la couverture, comme Marion, qui a fait celle du spécial « nanananas ». Une preuve que Paulette est en voie de réussir son pari ? « Depuis des mois, on reçoit des candidatures de journalistes de Be ou de Grazia qui veulent travailler pour nous », se réjouit Irène Olczak.
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