En Italie, le microparti CasaPound héberge des SDF, donne dans l’humanitaire et s’enracine dans le paysage culturel et social. Avec Mussolini comme modèle revendiqué.
L’homme, crâne rasé et allure militaire, entre dans le petit bar de la rue Giovanni-Lanza. Il est français et voudrait “visiter CasaPound”. A 23 heures, Rome a sombré dans la torpeur. En cette fin de journée d’avril, il n’y a plus un chat dans les rues. Pierre, serveur baraqué vêtu d’un polo noir, lui explique gentiment que CasaPound est un centre social ; une vingtaine de familles y dorment. L’homme insiste : il est “un ami”. Mais Pierre va fermer, et seuls sont encore attablés sa femme, son ami et deux journalistes.
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L’homme s’approche du comptoir et fait claquer sur le zinc une petite plaque aux couleurs des commandos de la Kriegsmarine – la marine allemande sous le IIIe Reich. Pierre l’empoigne alors par le col et le jette à la rue. Tenancier de ce point de chute pour les Français qui veulent rendre visite à CasaPound, il se met soudain à tout déballer :
“Y en a marre de ces rats ! Ils s’accrochent à nous parce qu’on a sorti la tête de l’eau. J’ai quitté la France pour ne plus avoir affaire à ces fous. Je suis venu faire de la politique, avec CasaPound. Je suis fasciste, moi ! Je ne suis pas nazi ! Je ne suis pas raciste !”
C’est ainsi qu’un néonazi se fait éjecter d’un bar néofasciste. Car CasaPound tient à son image, et les symboles du Reich ne sont pas les siens. C’est d’ailleurs l’une des rares choses à ne pas être récupérées. Pour le reste, tout passe à la moulinette du recyclage politique. C’est là la force de CasaPound : s’inscrire à la fois dans l’air du temps et dans la droitisation de la société. Son programme en dix points (souveraineté monétaire, gel de la dette, nationalisation des banques, opposition aux traités européens…) ressemble beaucoup à celui de Syriza, sauf pour la partie “immigration” puisque CasaPound veut fermer les frontières. Dans ses brochures, ses partisans se présentent comme pro-gays, et même pro-mariage pour tous, mais “formellement opposés à l’adoption d’enfants par des couples homosexuels”.
De Berlin à Vichy, tous les néofachos envient CasaPound
Pour ce microparti qui a fait moins de 1% aux dernières législatives, les élections ne sont pas la priorité. La Ligue du Nord a beau lorgner vers lui, il se concentre sur ce qui fait sa particularité : son enracinement dans le paysage social et culturel. De Berlin à Vichy, tous les néofachos envient CasaPound : ce sont des stars. “L’engouement est incontestable, reconnaît Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite. Ils sont les seuls en Europe à développer des activités publiques d’une telle envergure.”
A Rome, ce sont les champions de l’aide sociale. Ils militent pour une loi sur le “prêt mutualiste” afin de permettre aux classes populaires d’accéder à la propriété. Le logement est leur première revendication, et la tortue, qui porte sa maison sur son dos, leur emblème. Ils se battent aussi pour un congé maternité plus long et financé, qui permettrait aux femmes d’être mères sans quitter le monde du travail – la famille est leur second pilier. Au quotidien, ils hébergent des SDF dans le bâtiment qu’ils occupent. Tout est d’ailleurs parti de là, de ce bel immeuble d’architecture fasciste situé via Napoleone-III, en plein cœur de la capitale, à deux pas de la gare Termini.
L’entrée n’est pas discrète : un drapeau rouge et noir flanqué d’une tortue flotte au-dessus de leur enseigne qui s’affiche en grosse typo romaine. On ne peut pas la rater mais la porte reste hermétiquement fermée. Sur un malentendu, on pénètre tout de même dans l’antre de CasaPound : “Vous voulez dormir ici ?”, nous demande une sympathique dame qui sortait à ce moment-là. Dans la cour intérieure, un vieil homme répare des motos. Sur les murs, le nom d’Enée (le héros de Virgile) figure au panthéon graffé des néofascistes, aux côtés de Nietzsche, Evola (penseur de la contre-révolution), Céline, Pasolini, Saint-Exupéry et beaucoup d’autres. Une rampe d’accès pour handicapés mène dans le hall où on prend l’ascenseur. C’est au premier étage qu’on accueille les nouveaux, dans la salle commune ornée d’une fresque homemade des Thermopyles, la fameuse bataille de la Grèce antique durant laquelle 1000 Grecs ont résisté jusqu’à la mort à 200000 Perses – symbole de la résistance aux “invasions” de migrants.
Les meubles sont de récup, quelques affiches résument les activités du mouvement. Federico, le guide, nous montre la salle de contrôle dotée de plusieurs écrans diffusant les images des caméras qu’ils ont installées dans la rue, “davantage pour surveiller les antifas que la police”, précise le jeune homme en sweat. Des chambres, on ne verra rien, “pour préserver l’intimité des familles”, dit-il. Quatre-vingt personnes se partagent les cinq étages du bâtiment. Des SDF exclusivement italiens et triés sur le volet. “Nous avons une très longue liste d’attente, explique Chiara, une responsable. Pour choisir nos occupants, nous les rencontrons, nous discutons de nos valeurs et nous n’acceptons pas d’étrangers pour des raisons de sécurité.” Quelles raisons ? “On veut éviter les délinquants,les dealers, etc.”, indique-t-elle.
Gagner les cœurs et les corps
Depuis le début de l’occupation de cet immeuble en 2003, CasaPound a fait des petits un peu partout en Italie. Des bars, des restaurants, une revue, une radio – Bandiera nera –, une webtélé… Ils ont même leur propre fête nationale, en septembre. Ils ont aussi fondé une phalange de la protection civile, la Salamandra ; un corps de bénévoles (s’apparentant aux pompiers volontaires) grâce auquel ils prêtent secours à la population lors des tremblements de terre et des tempêtes. Rien que dans le Latium, la province autour de la capitale, quatre autres immeubles sont désormais occupés pour abriter des familles. Le mouvement organise aussi des soirées : la dernière, c’était en mars avec le groupe de rock Bronson. Car CasaPound a pour particularité de coloniser tous les terrains, à commencer par la culture. “Ce n’est pas parce qu’on est pauvres qu’on doit être stupides”, sourit Pierre.
“L’hymne et la bataille, le livre et le fusil, la pensée et l’action, la culture et le sport, font le parfait fasciste”, disait le Duce. En plus des concerts de rock identitaire et des affrontements avec les antifas, CasaPound possède donc des clubs de sport, des cercles de débats, comme le Cercle futuriste près du quartier bobo de Pigneto, et une association artistique, le Teatro Non Conforme F. T. Marinetti, qui glorifie Maïakovski – habituelle référence du théâtre de gauche. Benito aimait la moto, l’alpinisme, l’avion et la nage ; CasaPound invite ses aficionados à planter leur étendard sur les sommets italiens, propose des circuits en moto, de la plongée, du parachutisme et des cours de MMA (mixed martial arts), dans une brochure assaisonnée d’un charabia dialectico-hygiéniste.
Mais c’est surtout par le biais de librairies qu’ils s’installent, à Naples, Milan, Turin, Bari et Florence, où Le Bargello a ouvert ses portes il y a deux semaines. “Bienvenue ! Vous cherchez un bouquin en particulier ?”, demande Tommaso, jeune artisan qui tient la boutique de Florence avec quatre autres militants. Sur les étagères, Hitler et le Pouvoir de l’esthétique côtoie des ouvrages sur les hooligans, tandis que Don Quichotte et une bio de Kennedy se partagent la vedette avec des romans à l’eau de rose. Juste à côté, un livre explique le symbole du fascisme, le Fascio littorio – une hache utilisée dans la Rome antique, qui représente la souveraineté et l’union des citoyens. “C’était déjà l’emblème des Jacobins pendant la Révolution française”, précise Tommaso.
L’internationale fasciste
“Ici les gens peuvent acheter, emprunter ou échanger”, ajoute-t-il. Ça donne un grand mix culturel qui ne les dérange pas : leurs idoles vont de Che Guevara (dont ils vendent des bios revisitées : L’Autre Che, symbole de la droite militante) à Ezra Pound (le poète américain dont le mouvement tire son nom), en passant par Fight Club, dont une affiche orne le mur de la petite boutique. Sur leurs étals romains, les militants vendent du Corto Maltese et du Sin City, à côté de Terre et Peuple (revue française des néopaïens de l’association du même nom). Mais à Florence, le livre qui trône en bonne place traite du Hezbollah. “Nous soutenons le Hezbollah bien sûr, explique Tommaso, comme nous soutenons les Palestiniens et l’IRA. Ce sont des nationalistes, comme nous.”
C’est la troisième surprise de CasaPound : son volet “politique étrangère”. Grâce à son ONG Solid (Solidarité et Identité), le microparti peut se vanter d’être allé aider les Karens, le mouvement rebelle en Birmanie ; d’avoir apporté son soutien aux Afrikaners délaissés d’Afrique du Sud, et même d’avoir envoyé une délégation fournir une aide humanitaire en Syrie. Plus exactement : au régime de Damas, “qui manque de tout”. Soutien financier à Gaza lors de la dernière guerre, par nationalisme, aide à la communauté italienne de Crimée (par impérialisme ?), ces fascistes du IIIe millénaire s’inscrivent dans une perspective internationaliste.
Logique pour un mouvement qui inspire d’autres groupes, comme le MAS (Mouvement d’action sociale) à Toulouse, et qui attire à Rome une tripotée de Français. Ces immigrés politiques prennent souvent femme sur place. Pierre, le serveur, vit avec une Italienne, tout comme “Sebastiano”, en fait Sébastien, l’un des leaders et porte-parole de CasaPound, qui vit à Paris la semaine et passe ses week-ends à Rome avec sa femme Chiara, la quadra mi-rockeuse, mi-hippie qui accueille les nouveaux arrivants dans le petit bar de la rue Giovanni-Lanza. Où ces “rats” de nazis, so XXe siècle, ne sont pas les bienvenus.
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