Créé aux Etats-Unis en 2008, le mouvement écologiste Carrotmob brille par sa démarche atypique. Inspiré des flashmobs, il instaure une nouvelle méthode d’activisme empruntant les armes du capitalisme et basée sur le pouvoir du consommateur.
Trier ses ordures, éviter les bains, privilégier les transports en commun, favoriser les produits recyclables et recyclés, faire pipi dans la douche… Le quotidien d’un écologiste pratiquant ressemble bien souvent à un chemin de croix. Fort heureusement, la protection de notre environnement passe également par des initiatives plus ludiques et tout aussi efficaces, à l’image de celle imaginée par l’Américain Brent Schulkin. Après plusieurs années de réflexion, cet ancien salarié de Google a lancé le concept de Carrotmob en 2008 à San-Francisco :
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Nous avons choisi le nom de Carrotmob car nous utilisons la carotte au lieu du bâton. Plutôt que les traditionnelles attaques ou menaces, nous croyons que les gens peuvent avoir plus d’influence sur les entreprises en leur donnant une bonne raison de changer : notre argent.”
Une façon de prendre le capitalisme à son propre jeu en troquant le traditionnel boycott par une consommation ciblée et responsable.
Les règles de Carrotmob sont simples : des consommateurs envahissent un commerce afin de dégager un surplus de chiffre d’affaires pour le gérant. Celui-ci s’engage alors à réinvestir une partie des bénéfices réalisés dans la restructuration écologique de son établissement. Plus précisément, des commerces (épiceries, restaurants, magasins, bars…) font l’objet d’une présélection par l’équipe organisatrice du Carrotmob. Dès lors, ils sont invités à participer à des enchères. Celui qui propose le plus haut pourcentage de bénéfices réinvestis remporte la mise. “Dans la phase de sélection, nous prenons également en compte l’aspect ludique de la proposition, les animations envisagées par le commerçant, détaille Florian Guillaume, président de Carrot Community et importateur du concept en France. C’est le cas du bar Le Chantier à Rennes qui nous a proposé de faire des cocktails à la carotte.”
Une initiative américaine qui gagne la France
Le tout premier Carrotmob s’est déroulé en février 2008 dans une petite supérette de San Francisco. Sûr de la viabilité de son idée, Brent Schulkin a commencé par démarcher 23 commerces de son quartier pour leur soumettre son projet. Au terme des enchères, le K&D Market a remporté la mise en promettant de réinjecter 22% du surplus de bénéfice généré par l’opération dans des aménagements d’ordre écologique. Un expert énergéticien a fait un diagnostic du local pour évaluer les travaux à réaliser. La seule inconnue restait la fréquentation, mais les craintes de Brent Schulkin se sont vite évaporées. Le jour J, des centaines de participants se sont massés devant le K&D Market, rapportant au gérant plus de 9000 dollars en deux heures d’activité. Cet argent a été employé pour rénover la totalité du système d’éclairage de l’établissement. L’événement s’est achevé sur une session concert, en plein air, dans la bonne humeur. C’est à ce moment-là que le fondateur de Carrotmob a réalisé la puissance de son idée : “J’ai compris qu’une nouvelle carrière s’offrait à moi.”
Comme souvent, la France a repris à son compte l’initiative fomentée de l’autre côté de l’Atlantique. “J’ai découvert le concept en fouillant sur internet, dévoile Florian Guillaume. Après une prise de contact avec Brent Schulkin, j’ai décidé de prendre les choses en main et d’organiser le premier Carrotmob français avec l’aide de deux camarades.” L’opération s’est déroulée à La Vuelta Café, en avril 2010 à Rochefort. Plus de 250 “carrotmobeurs” se sont pressés ce jour-là pour un surplus de bénéfices de 1000 euros. Depuis, l’antenne française de Carrotmob a bien grandi. Le 6 avril, à la Bellevilloise à Paris, elle a rassemblé plus de 1000 personnes et décroché le record de bénéfices mondial, tous Carrotmobs confondus, en engrangeant 10000 euros dans la soirée. Le café concert a choisi de refaire à neuf son système d’isolation.
Le succès de Carrotmob tient dans son système gagnant-gagnant. Grâce au surplus de recettes récoltées lors de l’opération, le commerçant est en mesure d’effectuer des aménagements éco-responsables, généralement onéreux, tout en cultivant une image positive auprès de sa clientèle. Pour les participants, c’est l’occasion de passer un moment agréable, de rencontrer du monde, tout en faisant une bonne action pour la planète. Au-delà de leur mission pour l’environnement, les organisateurs profitent quant à eux de la popularité de l’événement pour agrandir leur réseau et inviter de nouvelles équipes à se former aux quatre coins du pays.
Un mouvement en croissance constante
La clé d’un Carrotmob réussi tient à la fréquentation : plus les gens viennent en masse, plus l’impact est grand. Pour entrer en contact avec les participants potentiels, tous les moyens sont bons. “Pour chaque Carrotmob, nous organisons en amont une vraie campagne de communication : relations presse, présence sur les réseaux sociaux, guerilla marketing, détaille Florian Guillaume. Le soutien de blogueurs influents nous est également très précieux. Très engagés, ils relaient nos campagnes et élargissent notre audience.” De New York à Paris en passant par Bangkok, les organisateurs de Carrotmobs ont déjà lancé plus de 200 campagnes. Sans l’apport d’internet, le concept n’aurait sans doute jamais dépassé les frontières des Etats-Unis.
L’esprit de Carrotmob réside dans l’ouverture. Tout le monde peut participer et lancer sa propre opération. Pour épauler les volontaires, Carrotmob met à leur disposition des outils leur expliquant la démarche à suivre et reste à leur disposition pour toutes les questions d’organisation et de viabilité du projet. Malgré la simplicité du concept, une opération réussie demande un maximum de préparation et un réseau conséquent. Pour Florian Guillaume, la notion d’entraide forme le cœur de Carrotmob : “la vocation de notre association est de guider les organisateurs en herbe et de déployer le concept dans toute la France. A Paris et Rennes, certains sont très actifs, très motivés. Notre rôle est simplement de garantir le respect de l’esprit originel du concept, pour limiter les déviances.”
Pour le moment, Carrotmob se concentre sur des actions de faible amplitude, dans des commerces de proximité. Mais les ambitions sont grandes, aux Etats-Unis comme en France. De son côté, Brent Schulkin s’apprête à “lancer dès cet été des campagnes de plus grande envergure dans les grandes entreprises”. Il souhaite ainsi lever plus d’argent, donner plus de visibilité au phénomène, et faire entrer Carrotmob dans une nouvelle dimension. En France, Florian Guillaume réfléchit, à long terme, à un nouveau business model pour faire de Carrot Community une entreprise sociale.
Le but recherché est de pérenniser l’activité afin de pouvoir salarier certains membres de l’association pour faire rouler les Carrotmobs : un graphiste, un chargé de communication, un expert énergéticien… Mais argent et écologie ne font pas toujours bon ménage : “Il peut y avoir des réticences de la part des extrémistes de l’écologie, ceux qui prônent la décroissance. Parler argent et consommation avec eux peut parfois s’avérer difficile. Mais je suis sûr que nous réussirons à rassembler largement au-delà des frontières de l’écologie pure.” Ecologistes ou non, tout le monde est invité au prochain Carrotmob le 23 juin à Rennes.
{"type":"Banniere-Basse"}