La militante féministe Caroline De Haas a annoncé qu’elle allait prendre de la distance avec Twitter pour échapper à un flot de violences quotidiennes. Elle explique pourquoi le réseau social n’est “pas safe d’un point de vue mental”.
Le 3 février, la militante féministe Caroline De Haas, membre du collectif Nous Toutes, a annoncé qu’elle allait désormais rester en retrait de Twitter : “Ce compte s’est mis en pause début janvier. Et finalement, il va le rester.” Dans un thread succinct, elle explique ne plus vouloir subir la “violence quotidienne” qu’elle trouve dans ses mentions. En 2018, victime de cyberharcèlement à la suite d’une interview réalisée par L’Obs, elle avait déjà décidé de faire une pause de réseaux sociaux. Contactée par téléphone, elle a accepté de nous expliquer les raisons de sa prise de distance avec la twittosphère, car ce qui lui a “permis de prendre conscience de ce qu'[elle] subissai [t]”, c’est d’avoir “entendu d’autres femmes en parler”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
https://twitter.com/carolinedehaas/status/1224432701953859584
Pourquoi avez-vous décidé de vous mettre en retrait de Twitter ?
Caroline De Haas – La raison principale, ce sont les violences. J’ai créé une entreprise qui fait de la prévention des violences – notamment sexistes et sexuelles, et du harcèlement moral – et tous les jours au travail, je suis confrontée à des témoignages de cette nature. Je milite dans un collectif qui s’appelle Nous Toutes, dans lequel on reçoit aussi beaucoup de témoignages. Donc je passe pas mal de temps de ma journée à être confrontée à des histoires de violence, qu’elle soit au travail, au sein du couple, ou subie par des enfants. Quand vous ouvrez Twitter, qui est censé être un espace d’information, de dialogue, de conseils et de rire, et qu’en fait il se transforme en un espace de violence, à un moment ce n’est plus possible. Je ne peux pas passer 24 heures par jour en prise avec ça. J’ai besoin, du fait de mon activité professionnelle, d’espaces non violents.
Quelle forme prend cette violence pour vous ?
Je ne passe pas un jour sans me faire insulter ! Ça n’existe pas une journée sans insultes ou commentaires dévalorisants sur Twitter. C’est fatigant, c’est compliqué, moralement et physiquement, d’être tout le temps dans un espace violent. A Nous Toutes, nous avons fixé une règle : sur WhatsApp, on ne s’écrit pas après 21h30 et avant 8h30 ; et sur les réseaux Nous Toutes, on ne partage aucun contenu violent. Les articles qui disent “Violée par son grand-père à six ans”, et “Brûlée vive à 15 ans”, on ne se les envoie pas. Le mot “viol” n’arrive quasiment jamais sur nos groupes WhatsApp. On essaye de ne pas créer des images violentes dans la tête des gens. Prenons un exemple tout bête. Dominique Besnehard a récemment fait des déclarations sur Polanski, et plusieurs personnes ont reparlé du fait qu’il avait appelé à me gifler [“Quand je vois certaines journalistes qui disent ‘Un homme sur trois est un prédateur’, moi, j’ai envie de la gifler !”, avait-il déclaré, ndlr] en me taguant sur Twitter. Ça, c’est violent. Je n’ai pas envie de replonger dans une période de ma vie où je vivais un cyberharcèlement, où c’était horrible, où j’avais peur que des gens me giflent dans la rue. Aujourd’hui, Twitter n’est pas un espace safe d’un point de vue mental.
>> A lire aussi : Queer et féministes, ces geek militent pour un internet safe
Et la deuxième raison de votre prise de distance ?
C’est la question du temps. Pendant toute une période de ma vie, Twitter m’apportait un intérêt intellectuel, militant, amical très fort. Résultat : le temps que j’y passais n’était pas du temps perdu. Désormais ce n’est plus le cas.
Pourriez-vous qualifier ce que vous avez vécu avec Twitter de burn-out ?
Non, pas du tout, en tout cas pas cette fois-ci. J’ai déjà vécu, à deux ou trois reprises, des campagnes de cyberharcèlement, qui pour l’une d’elles a généré un mal-être très profond en moi. Cette fois, c’est juste que j’en ai marre. Ce n’est pas un burn-out militant. Avec Nous Toutes, nous préparons une enquête sur le consentement au sein des couples hétéros, et le niveau d’activisme est énorme. La capacité à changer le monde n’est heureusement pas indexée sur Twitter. Sinon on serait dans la merde.
>> A lire aussi : Christine Angot : “Mila est abandonnée de tout le monde”
Que pensez-vous de l’affaire Mila, et du cyberharcèlement dont elle a fait l’objet ?
Dès que j’ai su pour cette histoire, on a fait un tweet de soutien par Nous Toutes. Ce niveau de violence contre elle est incroyable. Quels que soient les propos que cette jeune fille a tenus – et en l’occurrence ça pouvait être blessant pour des gens –, rien ne justifie les violences. Ce qu’a subi Mila fait partie des multiples campagnes de cyberharcèlement qu’ont connues des femmes et des jeunes femmes, en particulier des féministes, qui s’en prennent plein la gueule au-delà de la moyenne.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
{"type":"Banniere-Basse"}