L’éditeur japonais se replonge dans sa propre histoire avec la sortie de Capcom Arcade Stadium, qui réunit 32 jeux des années 1980 et 1990, et d’un nouveau volet de sa série Ghosts’n Goblins. Et aussi dans le même esprit rétro : Castle Kong, qui réinvente un certain classique de Nintendo, et Sir Lovelot, le « die & retry » qui a du cœur.
Sur l’écran-titre, la chanson est explicite. Sous l’autotune et les bips synthétiques, il y est question du « bon vieux temps », de cette époque bénie où l’on passait « la journée entière » à jouer dans les salles d’arcade. On appuie sur la touche Start, et nous voilà face à un choix de bornes presque étourdissant. Il y en a trente-deux et les titres majeurs des années 1980 et 1990 ne manquent pas : Strider, Ghosts’n Goblins, Bionic Commando; Final Fight, 1941 et ses suites, Street Fighter II… D’abord, on ne peut pas s’empêcher de les faire défiler à l’écran comme on ferait le tour de la salle. On profite déjà, pas vraiment pressé de choisir dans quelle borne on glissera notre première pièce. Celle de Mega Twins, le chouette platformer kawaii de 1990 ? Ou celle de Forgotten Worlds, pour retourner jouer les super-soldats volants comme si l’on était encore 1988 ? On s’y croirait, d’ailleurs. Allez, on y est, de retour dans le passé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
>> A lire aussi : “Persona 5 Strikers” : les belles vacances d’un grand jeu de rôle
Fantasme
Sauf que pas du tout. Cette salle aux bornes toutes rutilantes dans laquelle on croise à la fois le primitif (mais entêtant) Higemaru (1984), dans lequel le but est d’assommer les pirates qui nous poursuivent en leur lançant des tonneaux, et le beaucoup plus tardif shoot’em up GigaWing (1999) n’a évidemment jamais existé, pas plus que ces journées entières passées devant elles. Tout cela est une reconstruction, une fiction, reposant sur la nostalgie d’un fantasme, d’une idée plutôt que d’une réalité, et c’est précisément ce qui rend passionnant Capcom Arcade Stadium, la dernière option en date choisie par l’éditeur japonais pour mettre en valeur son riche catalogue sur la Switch (en attendant l’arrivée du service sur d’autres machines à jouer). Il est d’ailleurs frappant de noter que, pour Street Fighter II dont trois déclinaisons figurent ici, Capcom avait déjà joué la carte du remake (avec Ultra Street Fighter II : The Final Challengers) et celle de la compilation (avec Street Fighter 30th Anniversary Collection) avant de tenter la reconstitution de salle d’arcade. On remarquera aussi que plusieurs jeux de la plus modeste anthologie Capcom Beat’em Up Bundle, mais pas tous, figurent dans les trois packs, vendus séparément ou en bloc, de Capcom Arcade Stadium, signe d’un certain tâtonnement sur la meilleure façon de commercialiser ces classiques.
Reconstitution
Capcom n’est pas le premier éditeur à tenter ce genre de chose. Dans sa compilation Mega Drive Classics, Sega avait par exemple recréé à l’écran une (luxueuse) chambre d’ado des années 1990 avec des posters, des livres, un skate, des cassettes VHS au sol et une étagère remplie de boîtes de jeux sur lesquelles on se saisissait virtuellement des cartouches de Sonic, Streets of Rage ou Kid Chameleon pour les insérer dans la Mega Drive installée à une place d’honneur. On se souvient aussi de l’anthologie Activision Hits Remixed, paru sur PlayStation Portable en 2006, qui, aux jeux de l’éditeur américain pionnier (Pitfall, River Raid…) ajoutait une douzaine de succès musicaux de la même époque (Take On Me de a-ha, Tainted Love de Soft Cell…) L’idée de Capcom Arcade Stadium est à peu près la même : ne pas se contenter de nous installer face aux jeux, mais les mettre en scène dans une sorte de reconstitution idéalisée du passé. Ici, la démarche va jusqu’à proposer un point de vue atypique sur l’image des jeux : non pas face à elle, mais d’en haut, comme si l’on était justement installé devant une borne d’arcade. Alors même que, face à une vraie borne, on ne demanderait qu’à l’oublier pour entrer dans le jeu.
Malléable
Evidemment, il est possible de choisir un affichage plus classique car tout, ici, est paramétrable, malléable : la difficulté des jeux, leur vitesse ou le nombre de vies, indépendamment du fait que notre poche contient apparemment un nombre de pièces illimité à glisser dans les bornes. Car, oui, on continue d’ajouter virtuellement des « crédits », plusieurs d’avance pour les plus tendus, et c’est exercice inutile est presque un plaisir en soi. Si l’on y prend comme pied et que, comme à l’époque, Ghouls’n Ghosts est plus fort que nous, Capcom Arcade Stadium offre également, comme la plupart des rééditions du même genre, la possibilité de revenir en arrière, juste avant notre échec, pour recommencer et de sauvegarder notre partie à tous moments pour y revenir plus tard. Et découvrir peut-être enfin la conclusion de ces jeux dont la fonction même, en salle d’arcade, était de nous résister (pour nous pousser à remettre une pièce). Tout cela amène à se dire, d’une manière peut-être un rien paradoxale, que nous ne sommes pas ici face à un exercice futile ou morbide de glorification d’un passé révolu. Car ce qui ressort de cet obsédant Capcom Arcade Stadium, ce serait plutôt l’idée que jouer aux jeux d’avant, c’est mieux maintenant.
Caleçon
Parallèlement à cette collection de jeux que l’on espère voir complétée dans les prochains mois par de nouveaux packs car, aussi riche soit-elle, on pourrait citer bien des glorieux absents (Black Tiger, Three Wonders, Cadillacs and Dinosaurs, Power Stone, Darkstalkers…), Capcom relance l’une de ses grandes séries historiques dont deux volets figurent justement dans Capcom Arcade Stadium. Et si Ghosts’n Goblins Resurrection porte bien son nom, ce n’est pas seulement parce que l’éditeur japonais fait resurgir ladite saga, mais parce que c’est, depuis toujours, un jeu dans lequel on ressuscite beaucoup. Bien sûr, c’est parce que notre héros le fougueux chevalier Arthur qui se retrouve en caleçon quand les monstres ont détruit son armure, ne cesse de mourir, mais ce nouveau volet insiste judicieusement sur ce qui fait le prix de Ghosts’n Goblins : cette envie constante de recommencer, de repartir à l’assaut de ses niveaux, parce que si l’on a failli, c’est toujours de peu et il suffirait d’un rien pour que ça passe la prochaine fois – ou la prochaine, encore la prochaine, potentiellement à l’infini. Les fans des jeux de FromSoftware, Dark Souls, Demon’s Souls ou Sekiro : Shadows Die Twice qui sont tous plus ou moins des héritiers de Ghosts ’n Goblins, connaissent bien ces sentiments. Il y a l’envie, le plaisir et la fierté de progresser. On peste, évidemment, on se décourage parfois un peu, mais on rit aussi : il y a vraiment quelque chose de drôle à mourir autant et de tant de manières différentes – c’est la vérité profonde du burlesque : le spectacle de ce que l’on fait subir aux corps, et le caleçon d’Arthur est, en la matière, une sorte d’aveu.
Ghosts’n Goblins Resurrection est donc un jeu très dur, impitoyable même, mais c’est aussi une expérience très accessible grâce à la présence de quatre niveaux de difficultés et, dans les plus accueillants d’entre eux, de nombreux checkpoints qui évitent de devoir tout refaire à chaque fois pour nous concentrer sur la séquence de gestes et de mouvements qui nous pose problème à l’instant. À la fois somptueux livre d’images animées, parc d’attractions facétieux sur le thème de l’épouvante (son bestiaire, ses lieux emblématiques…) et partition d’actions à reproduire dans le bon tempo pour éviter la punition, Ghosts’n Goblins Resurrection tient toutes ses promesses. On y passerait bien « des journées entières » comme « au bon vieux temps » (qui n’a jamais eu de réalité qu’à l’intérieur de nous, où il subsistera jusqu’au bout).
Capcom Arcade Stadium (Capcom), sur Switch, gratuit avec Ghosts’n Goblins et 1943, environ 15€ pour chacun des trois packs de 10 jeux supplémentaires, 40€ pour l’ensemble. A paraître sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows.
Ghosts’n Goblins Resurrection (Capcom), sur Switch, environ 30€.
Et aussi :
« Castle Kong »
Donkey Kong fut l’un des jeux les plus plagiés de son temps, celui des pionniers du jeu d’arcade, de Space Invaders, de Pac-Man. Mais quarante ans plus tard – le jeu les fêtera en juillet –, il y a prescription, et c’est plutôt d’hommage pince-sans-rire bien qu’appuyé que l’on parlera à propos de Castle Kong, que Nintendo accueille d’ailleurs sans protester sur sa Switch. Le début du jeu reste à peu près identique à celui de la première aventure de Mario (qui n’avait alors d’autre nom que Jumpman), mais ça ne dure pas et, sur les bases posées jadis par Shigeru Miyamoto, les développeurs laissent rapidement parler leur propre fantaisie, prouvant, s’il en était besoin, que les classiques du jeu vidéo offrent toujours un terreau propice à l’imagination. Mais avec trois vies seulement, il faudra s’accrocher pour voir le bout de ses 22 niveaux. A noter, dans un esprit là aussi très rétro, qu’une compétition est organisée par l’éditeur jusqu’au 25 mai qui récompensera les dix meilleurs scores réalisés sur Castle Kong. Avis aux amateurs.
Sur Switch, Drowning Monkeys Games, environ 7€. Déjà disponible sur Windows.
>> A lire aussi : “Little Nightmares II” : le jeu vidéo qui plonge dans la peur à hauteur d’enfant
« Sir Lovelot »
Joyeusement rétro lui aussi, Sir Lovelot croise Ghosts’n Goblins (pour le petit chevalier en armure contre lequel tout semble se liguer) avec Super Meat Boy (pour, entre autres choses, le point de vue sur l’action et l’abondance de scies circulaires) mais, de ces sommets du jeu vidéo cruel, livre une version ensoleillée et presque gentille. Pas de malentendu : la logique, ici, reste celle du die & retry, de la répétition des tentatives jusqu’au succès, mais le jeu du studio luxembourgeois Pixel Games est de ceux qui savent accueillir. Cela vaut pour son ambiance fleur bleue (même si, en amour, notre héros semble être du genre collectionneur), pour son style tout en couleurs vives et, surtout, pour le choix de ne pas tout réinitialiser (trésors à ramasser, mécanismes à déclencher) d’un essai à l’autre, ce qui autorise une approche de type, disons, work in progress là où d’autres nous auraient obligés à tout reprendre à zéro à chaque fois. Merci à lui, vraiment, de se montrer gentil et pas seulement charmant.
Sur Switch, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows, Pixel Games, environ 10€
{"type":"Banniere-Basse"}