Les affaires de cannibalisme se sont multipliées ces dernières semaines. Pourquoi nous fascinent-elles autant ?
Vous voulez profiter du printemps pour vivre une expérience incroyable ? Essayez l’anthropophagie ! Cette pratique « gastronomique » semble revenir en force, à en croire les nombreuses affaires qui ont défrayé la chronique ces dernières semaines. Quatre d’entre elles en particulier ont marqué les esprits.
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• Le zombie de Miami
Le 26 mai dernier en Floride, au bord d’une route de Miami, un homme nu âgé de 31 ans agresse un SDF et lui dévore le visage. Les policiers arrivés sur place ont tenté, sans succès, d’interrompre le « zombie », avant de l’abattre de plusieurs balles. Les autorités de Floride estiment que « l’état de rage » dans lequel se trouvait l’agresseur pourrait être dû à l’absorption d’une nouvelle drogue de synthèse surnommée « bath salts » (sels de bain). Dans un état grave, la victime a perdu les trois quarts de son visage. Elle récupère aujourd’hui de ses blessures, mais restera probablement aveugle.
• L’étudiant du Maryland
Trois jours plus tard, le 29 mai, Alexander Kinyua, un étudiant de Baltimore dans le Maryland (nord-est des Etats-Unis), est interpellé, raconte le Baltimore Sun. Il avoue à la police avoir tué son colocataire âgé de 37 ans, avant de le découper et de manger des parties de son cœur et de son cerveau.
• L’artiste japonais gastronome
Mao Sugiyama, un artiste de 22 ans qui se considère comme asexuel, a proposé à la dégustation son pénis et ses testicules le 13 mai dernier, à Tokyo. Le jeune japonais avait subi une ablation de ses attributs en mars dernier, avant de les congeler pendant deux mois. Ils ont été cuisinés par un chef – assaisonnés au persil et accompagnés de champignons – et servis à des clients volontaires, qui ont chacun payé 20 000 yens, soit 200 euros. Il affirme avoir préparé cette performance pour attirer l’attention sur les minorités sexuelles.
• L’affaire des beignets salés
Accusés d’avoir assassiné puis mangé trois femmes, Jorge da Silveira, 51 ans, Isabel Pires, 51 ans, et Bruna da Silva, 25 ans, sont arrêtés au Brésil le 12 avril dernier. Le trio affirme avoir agi « sous le commandement de deux anges, un Blanc et un Noir », et « avec la permission de Dieu » : ils auraient « purifié » leurs victimes en ingérant leur chair. Selon CNN, le nombre de victimes pourrait dépasser la dizaine. Ce n’est pas tout : d’après la police, les cannibales auraient utilisé des morceaux de chair humaine pour confectionner des beignets, vendus ensuite dans les rues de Garanhuns (située non loin de Recife).
Attraction, répulsion… pourquoi cette fascination pour le cannibalisme?
L’aspect sordide et inquiétant de ces faits divers a provoqué leur surmédiatisation et suscité l’intérêt des internautes. Mais d’où vient cet étrange sentiment, ce dégoût mêlé de fascination, que le cannibalisme suscite chez les populations occidentales ?
Pour les occidentaux, le cannibalisme est teinté d’exotisme : il renvoie aux pratiques ancestrales de sociétés primitives et lointaines. « Nous ne voulons voir le cannibalisme qu’en termes de bestialité« , explique Georges Guille-Escuret, chercheur CNRS et spécialiste du domaine. Les cas contemporains relèvent pourtant, selon lui, « d’histoires individuelles qui supposent une opposition pathologique à la société, et n’ont rien à voir avec le cannibalisme rituel« .
« La fascination vient de ce que pour nous, le cannibalisme représente la préhistoire, résume-t-il. Les civilisés fantasment à travers un retour imaginaire sur le passé. Le phénomène rassure en même temps qu’il inquiète : nous sommes civilisés donc nous échappons à ça, mais il y a aussi l’idée que nous portons quelque chose au fond de nous, qui remonte du fond des âges. »
Pour le scientifique, nous vivons selon des normes sociales et culturelles qui s’enracinent dans une « double phobie« . Une phobie politique, qui vient des Grecs : pour ces derniers, la culture naît au moment où l’on abandonne le cannibalisme. Et une phobie chrétienne : au Moyen-Age, le corps humain est investi d’une charge sacrée, et le consommer représente une grave transgression. Le christianisme opère ainsi une distinction claire entre les états de nature et de culture.
Reste que notre perception du cannibalisme est pétrie de préjugés. On l’associe notamment volontiers au sadisme – à une volonté d’inférioriser l’autre. « En réalité, dans les sociétés cannibales, chacun est l’alter ego de l’autre, explique M. Escuret. Les cannibales ne sont pas des sadiques, il s’agit d’autres pulsions. » Dans les cas évoqués ci-dessus, il s’agit selon lui d’un « problème civilisé par rapport à la chair humaine » : les cannibales occidentaux surmontent l’inhibition originelle, héritée des Grecs et des chrétiens. « Vous ne trouvez pas ça dans les sociétés cannibales« , conclut-il.
Le cannibalisme pour comprendre les inégalités sociales
Tobie Nathan, professeur émérite de psychologie clinique et pathologique à l’université Paris- VIII, propose quant à lui une autre lecture du phénomène. Son analyse se fonde sur l’observation d’une pratique qui s’est généralisé en Afrique, le cannibalisme sorcier. Les sorciers cannibales se réunissent au cœur de la nuit pour « manger » la personne de leur choix. En réalité, il ne s’agit pas de la dévorer au sens propre, mais plutôt d’absorber sa substance vitale : rapidement, la personne tombera malade, aura un accident, finira par mourir.
« Ça signifie qu’il est possible de prendre la force de quelqu’un, analyse Tobie Nathan. La théorie sous-jacente, c’est que la force disponible est limitée. Comme les richesses si l’on veut. Si vous l’avez, moi je ne l’ai pas. La santé est limitée, la force d’âme, la possibilité de capture est limitée. C’est une compréhension assez fine de la réalité du monde. »
Pour le psychologue, cette lecture du cannibalisme est aussi pertinente pour nos propres sociétés que pour les populations africaines – qui l’ont complètement intégrée. Le cannibalisme nous permettrait de comprendre les inégalités, d’avoir accès à « la partie invisible de la société« . Ce serait même sa principale fonction : « lever le voile, passer de l’autre côté du miroir« .
« Décrire la société en termes cannibalistes, c’est plus vrai que la décrire en termes de contrat social, conclut Tobie Nathan. Cette notion est tellement proche d’une compréhension réelle de notre société que les gens sont fascinés par ça. »
Enfin, la répulsion que nous éprouvons à l’idée de consommer de la chair humaine n’est pas spécifique à l’anthropophagie, selon Tobie Nathan. De manière plus générale, elle serait liée aux « nourritures interdites« . En bref, nous avons intégré la règle suivante : la chair humaine n’appartient pas au monde des aliments, (presque) au même titre que la cervelle de singe ou le pénis de yack. N’empêche, qu’on se le dise, le cannibalisme est « le » phénomène hype du moment. A ne pratiquer qu’entre personnes consentantes.
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