Depuis presqu’un an, des migrants vivent dans des tentes sous le métro aérien entre la Chapelle et Barbès, à Paris. Ils étaient 380. Ce 2 juin la police les a évacués. Seront-ils relogés dans des conditions dignes et pérennes ? C’est tout l’enjeu. Reportage.
Il ne reste plus que deux pages, format A4, scotchées sur un pilonne bardé de tags, au milieu de dizaines de tentes Quechua multicolores. La dernière d’entre elles porte la signature du préfet, et la date du 30 mai. C’est un avis d’évacuation imminente, qui laisse 48 heures aux réfugiés pour quitter les lieux. D’ici là le campement situé sous le métro aérien, entre les stations La Chapelle et Barbès, aura disparu. Un avis sommaire, écrit dans un langage administratif totalement étranger aux quelques 380 habitants de ce bidonville en plein coeur de Paris – des Erythréens et des Soudanais pour la plupart. Le mot est pourtant passé parmi les migrants, notamment grâce aux associations présentes sur le terrain : France Terre d’Asile, Emmaüs-Solidarité, Médecins du monde, entre autres.
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Sur leurs mines fatiguées, ce 1er juin, à la veille du démantèlement, l’inquiétude le dispute à la lassitude. “L’évacuation? Je m’en moque. J’ai demandé à un gars de la mairie que je connais où j’allais aller, mais il n’a pas su me dire où étaient les hébergements”, confie Youssouf, un des premiers hôtes du campement de fortune (depuis juillet 2014), feignant l’indifférence. D’origine mauritanienne, il a traversé des dizaines de pays, a séjourné quelques années en Grèce et en Hongrie, avant d’atterrir à La Chapelle. Au terme de ce voyage de sept ans en Europe, il a obtenu l’asile politique en France – la carte qu’il nous encourage à regarder en atteste -, mais il n’est pas sorti d’affaire pour autant : “Depuis que je suis ici, je n’ai jamais travaillé, j’en ai marre, j’ai l’impression que les papiers que l’on m’a donné ne servent à rien”.
La misère et le désœuvrement
A l’abri des regards des Parisiens embarqués dans le métro de la ligne 2, qui passe toutes les deux minutes dans un vacarme qui rend tout dialogue inaudible sous le pont, la misère et le désœuvrement offrent un triste spectacle. Des habits et des tapis sèchent sur les rambardes au bord de la route, des déchets s’amoncellent à quelques mètres des tentes posées sur des palettes. C’est à peine s’il y a de quoi se frayer un passage entre les matelas usés gisant à même le sol. Seul signe de la gestion du camp par les autorités publiques: deux cabines sanitaires, et un urinoir. Et encore, ils ont été installés récemment, comme le raconte Benoît, jeune habitant du quartier venu exprimer son soutien aux migrants : “Avant, une à deux fois par semaine, les flics venaient avec un karcher, mettaient les tentes sur le côté, et nettoyaient, dans un souci de salubrité publique”. Avisé de l’expulsion imminente par une liste de mails du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF), il se dit “sceptique” sur la promesse d’hébergement brandie par les associations mandatées par la mairie de Paris, et par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.
“Ce campement n’aurait jamais dû exister”
C’est tout l’enjeu de ce démantèlement : le dénuement et l’insalubrité du campement sont certes indignes, mais quelles solutions d’hébergement vont être proposées aux réfugiés ? “On ne peut que supporter l’idée d’un démantèlement de ce campement, qui n’aurait jamais dû exister, estime ainsi Jean-François Corty, directeur des Opérations France Médecins du Monde. Mais il faut que les migrants soient mis dans des dispositifs qui correspondent aux standards de prise en charge sanitaire minimum. Or je sais par expérience qu’on va proposer à certaines personnes un logement pour deux ou trois jours seulement, et qu’on va demander à d’autres de dégager sans rien. L’enjeu est global : quelle est la réponse de la France en matière de protection, d’accompagnement et d’ouverture des droits, face à ce phénomène migratoire qui s’accentue ?”
“Ici, tu tombes malade, tu es mort”
Parmi les migrants, le démantèlement ne suscite en effet guère d’espoir. Présent depuis six mois, un Guinéen demandeur d’asile, visiblement préoccupé, convient que les conditions de vie sont intenables, en les résumant par une sinistre équation : “Ici, tu tombes malade, tu es mort”. Il nous raconte le calvaire quotidien du campement : le deal et les agressions qu’il draine avec lui, les maladies, le froid qui ankylose les membres et empêche de respirer en hiver, le bruit incessant du métro qui donne mal à la tête… Et les appels sans réponse adressés au 115 : “J’ai tapé à toutes les portes pour trouver un logement, mais même en hiver, alors que j’étais sous la pluie dans ma tente, ils ne m’en ont pas donné un. Certains ici ont des titres de séjour, et pourtant ils dorment toujours là”. Le directeur général de France Terre d’asile, Pierre Henry promet pourtant qu’”ils auront tous une proposition d’hébergement”.
Dernière visite bienveillante avant l’évacuation
Vers 20h, une camionnette blanche s’arrête en face du campement. L’homme qui en sort, chauve, la cinquantaine et le sourire franc, est un directeur de supermarché, Bertrand Louiset. Il amène avec lui trois marmites de soupe avec des morceaux de poulet, et distribue le tout dans des barquettes. Illico, une file d’attente de plusieurs dizaines de mètres se constitue. Certains jouent des coudes. Une dispute éclate. Il serre les dernières louches de son bouillon un peu plus loin, au calme. Il était déjà passé la veille. “J’ai fait ma tambouille dans ma cuisine, et je l’ai apportée, c’est aussi simple que cela”, commente-t-il, se félicitant au passage des mesures récemment votées à l’Assemblée nationale contre le gaspillage alimentaire dans les moyennes et grandes distributions. Plutôt que de jeter les invendus de son supermarché, il donne les produits périmés mais encore consommables. “Si tout le monde faisait comme moi, il n’y aurait plus besoin d’associations !”, s’amuse-t-il.
Ce sera la dernière visite bienveillante de la journée, après un petit rassemblement de soutien aux migrants un peu plus tôt. Les militants se sont passés leurs numéros de téléphone, pour être présents en cas d’évacuation matinale. En cette fin d’après-midi, plusieurs voitures de police sont passées au pas, présageant une expulsion prochaine. Elle est survenue à 6 heures du matin le lendemain, pour « péril imminent » dû à des cas de gale et à un risque d’épidémie de dysenterie selon le préfet. Le boulevard de la Chapelle a été bouclé. Sur la pancarte des militants présents, on lisait : « L’épidémie c’est le capitalisme, ses flics, ses guerres et ses frontières ».
Évacuation en cours du camp de migrants de La Chapelle pic.twitter.com/PVYVKgIS8R
— Mathieu Dejean (@Mathieu2jean) 2 Juin 2015
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