Improbable spin-off de la saga “Zelda” conçu par le studio canadien Brace Yourself Games sur le modèle de son très remarqué “Crypt of the NecroDancer”, “Cadence of Hyrule” est l’un des jeux les plus étonnants du moment. Dans cette nouvelle aventure entêtante, l’essentiel est de bouger dans le bon tempo. Entre la légende japonaise et le petit jeu indépendant, la rencontre est un enchantement.
Il y a encore quelques années, Cadence of Hyrule aurait été inimaginable. Ce n’est certes pas la première fois qu’un jeu de la saga Zelda, l’un des piliers du catalogue Nintendo, est développé par un studio indépendant de l’éditeur mais, jusqu’ici, seuls des structures japonaises y avaient été autorisées (Capcom pour le diptyque Oracle of Seasons / Oracle of Ages, Koei Tecmo pour Hyrule Warriors…), et toujours sous le contrôle direct de la maison Mario – on laisse de côté les Zelda produits au début des années 1990 pour le CD-i de Philips, qui relèvent de l’aberration historique. Mais pour Cadence of Hyrule : Crypt of the NecroDancer featuring The Legend of Zelda – son titre complet –, c’est différent. Autant qu’un spin-off de Zelda, le jeu est un dérivé d’un tube vidéoludique indé parmi les plus ermballants de ces dernières années : Crypt of the NecroDancer, que l’on doit au petit studio Brace Yourself Games, basé à Vancouver et crédité jusqu’ici d’un unique jeu, qui n’est clairement ni Capcom, ni Koei Tecmo, ni Ubisoft (qui, lui, avait eu le droit de jouer avec la famille Mario dans Mario + The Lapins Crétins Kingdom Battle).
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Chorégraphies de monstres
Au départ, il y a eu une envie des développeurs canadiens : intégrer les personnages et l’univers de Zelda dans la version Switch de Crypt of the Necrodancer, par exemple sous la forme d’un contenu additionnel à télécharger. Mais l’idée a tellement emballé Nintendo que le DLC est finalement devenu un jeu à part entière qui ne reçoit pratiquement que des louanges depuis sa sortie – 100 % de critiques positives sur l’agrégateur Metacritic au moment de l’écriture du présent article. Il faut dire cette virée de La Légende de Zelda sur les terres de Crypt of the Necrodancer (à moins que ce ne soit l’inverse) se révèle tout à fait étonnante. Mieux : loin d’un exercice plus ou moins abouti d’hybridation, le résultat tient de la révélation. Au sens où il nous dit aussi quelque chose sur ce qu’a toujours été, plus ou moins secrètement, Zelda.
La clé de Cadence of Hyrule, que le jeu emprunte donc à l’éminemment recommandable (mais nettement plus ardu) Crypt of the NecroDancer, c’est le rythme. Lorsque l’on arrive sur un écran comportant des ennemis, la musique, présente dès le début, se fait plus insistante. Pour s’en sortir, un peu comme dans le récent Vectronom, une seule solution : caler ses mouvements sur le beat et, en même temps, sur celui des monstres qui se lancent dans une chorégraphie sur le même tempo. Par exemple, si le point faible de l’un d’eux est dans son dos, il faudra anticiper ses mouvement pour se retrouver derrière lui au bon moment. Si tel autre a tendance à foncer en ligne droit, la solution sera de l’attirer vers nous puis, lorsqu’il se lance, de se décaler pour l’attaquer par le côté. Mais, bientôt, voilà que l’on se met à suivre le rythme même dans les zones libérées des ennemis ou lors de nos passages au Village Cocorico qui, comme les autres lieux emblématiques de la saga Zelda (le lac Hylia, les Bois perdus…) figure bien dans Cadence of Hyrule. Pas de doute : on danse. Et ce n’est pas tout : suivre le rythme est aussi la condition à suivre pour résoudre les énigmes du jeu et par exemple, entre autres choses réjouissantes, de sortir l’idole Tingle de sa sieste.
Aventure intérieure
Cette dimension “rhythm game” (dont une option permet aux allergiques de s’affranchir partiellement) est à la fois une contrainte supplémentaires (par rapport aux Zelda classiques) et la solution d’à peu près tout dans Cadence of Hyrule. C’est aussi une sorte de “discours” implicite sur la saga et, plus généralement, sur à peu près tous les jeux dans lesquels l’action tient une place centrale. Ce n’est pas pour rien si, d’A Link to the Past à The Wind Waker en passant par Majora’s Mask, La Légende de Zelda semble obsédée par la nécessité de se trouver au bon endroit au bon moment (et d’y effectuer la bonne action). Cadence of Hyrule est un concentré de cela. Mais que l’on tente de triompher d’Ocarina of Time ou, ailleurs, de Sekiro, de Cuphead ou d’un Super Mario, et on ne parle même pas des shoot’em up ou des puzzle games, la règle est toujours la même : il faut sentir, intégrer et adopter le rythme du jeu. Se laisser pénétrer, le reproduire et, sur cette grille et en fonction de ce qui se présente à nous, adopter notre propre routine. Les adversaires que les jeux vidéo nous proposent, même ceux disposant de l’intelligence artificielle la plus avancée, ont toujours été des automates – ceux, fascinants, de Cadence of Hyrule sont l’affichent juste plus franchement. Et leurs arènes même les plus sanglantes et cruelles, des pistes de danse.
Un détail, cependant : dans cette période de retour au premier plan pour Zelda entre l’annonce de Breath of the Wild 2 (que l’on espère, sans aucune certitude, voir arriver en 2020) et le sortie, programmée pour septembre, du remake de l’épisode GameBoy Link’s Awakening, Cadence of Hyrule témoigne aussi d’un changement de perspective. A l’approche ouverte de Breath of the Wild, jeu entièrement tourné vers le voyage, l’exploration et la dérive – en un mot : vers l’extérieur – répond celle de Cadence of Hyrule, plus intérieure, où l’épopée est d’abord celle d’un cœur qui bat. Ce pourrait bien être aussi beau.
Cadence of Hyrule (Brace Yourself Games / Nintendo), sur Switch, environ 25€
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