Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, germanophone et germanophile, décrypte la stratégie de convergence franco-allemande et tire à boulets rouges sur la gauche.
Entre Nicolas Sarkozy qui parle de convergence franco-allemande et la chancelière allemande qui explique qu’il faut que la justice européenne, la Commission de Bruxelles aient plus de pouvoir sur les budgets européens, quels sont les véritables points d’accord ?
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Bruno Le Maire – Aujourd’hui, la crise touche profondément tous les Français et nous pose cette question essentielle : comment rétablir la souveraineté des Etats européens face aux marchés financiers ? Les enjeux sont clairement posés. Le premier, immédiat, c’est la maîtrise de la crise financière et la réforme des institutions européennes. Je pars du principe que nous n’y arriverons que sur la base de la convergence francoallemande. La maîtrise de l’endettement public passe par un plus grand contrôle des budgets nationaux. C’est le point d’accord entre la France et l’Allemagne. Si on ne les contrôle pas mieux, on s’expose à des comportements de passagers clandestins, comme celui qu’a eu la Grèce. L’enjeu de plus long terme, après la crise, c’est notre capacité à bâtir de la croissance, à défendre nos emplois, nos industries et à ouvrir des perspectives plus positives pour les Européens. Ce sont aussi des travaux qu’on doit engager main dans la main avec les Allemands.
Qui contrôlera les budgets nationaux ?
C’est le point de divergence, sur lequel il n’y a pas encore de compromis. Contrôle par les Etats ou éventuel contrôle par la Commission, pourquoi pas ? Mais ce qui est inacceptable, c’est un contrôle qui serait exercé exclusivement par la Cour de justice européenne. Cela signifierait la judiciarisation de la politique européenne. Je l’ai dit très fortement à mes interlocuteurs à Berlin. La convergence franco-allemande, cela ne veut pas dire l’adoption d’un modèle national pour toute l’Europe. Il faut trouver des compromis, que chacun fasse un pas vers l’autre.
Vous parlez de compromis mais beaucoup reprochent à la France de s’être soumise au diktat allemand.
Je suis profondément choqué des attaques socialistes contre l’Allemagne. Je les trouve totalement déplacées, contre-productives et injustes. Les Allemands ne veulent pas affirmer une Allemagne forte en Europe. Les Allemands veulent une Europe forte et une zone euro forte. Or l’Europe aujourd’hui est faible. Les Allemands nous disent : si vous voulez une Europe forte, une zone euro forte, il faut des règles, de la discipline et il faut faire respecter ces règles. C’est ce qu’a dit le président de la République à Toulon : il a raison. Le point de vue des Allemands mérite d’être écouté. Depuis la création de l’euro, ils ont fait des efforts extraordinaires pour se désendetter, pour relancer leur compétitivité, et cela leur a coûté cher. Alors, quand on dit aux Allemands : « Maintenant il faut payer pour les autres, pour ceux qui n’ont pas respecté les règles et qui n’ont pas fait les mêmes efforts que vous », ils disent non. Cela se comprend. Enfin, le secrétaire général de la CDU et le secrétaire général de la Chancellerie me l’ont dit les yeux dans les yeux : les Allemands ont le sentiment d’avoir déjà beaucoup bougé. Ils ont accepté le Fonds européen de stabilité financière. Qui est le premier contributeur au FESF ? L’Allemagne. Ils ont fait sur la BCE des gestes qui n’ont pas été remarqués. Cela fait partie de leur culture de ne pas les dire…
Par exemple ?
Par exemple, que la BCE intervienne sans qu’on ne lui demande rien. Qui est intervenu massivement ces derniers jours sur les marchés ? La BCE et toutes les autres banques centrales. Les Allemands estiment que cela a été possible parce que les signaux ont été passés par Berlin. Ils ont donc le sentiment de contribuer lourdement à l’équilibre financier de l’Europe et à la solidarité européenne. Ces gestes se sont faits sous l’impulsion du président de la République. Dire que Nicolas Sarkozy est soumis aujourd’hui à l’Allemagne, ça ne correspond pas à la réalité des faits.
Angela Merkel a dit clairement que la BCE ne sera jamais la Fed américaine ou la Banque centrale d’Angleterre. Et plus de 80 % des Allemands sont hostiles à un rôle accru de la BCE. Comment les faire bouger rapidement ?
Il faut déjà expliquer que les Allemands ont fait des pas vers nous. Attiser les divergences en renvoyant les Allemands, comme l’a fait Arnaud Montebourg, à un nationalisme qui n’existe pas, c’est totalement irresponsable ! Le ministre allemand de l’Environnement m’a dit la semaine dernière : le nationalisme allemand, c’est « null, komma null » (zéro, virgule zéro). Il faut tenir compte de la réalité des peuples. Les Allemands sont très majoritairement hostiles à une intervention de la BCE pour une raison simple. Ils ont le traumatisme de l’inflation chevillé au corps. Du secrétaire général de Mme Merkel jusqu’au simple citoyen dans la rue, en particulier le petit retraité qui n’a pas vu sa pension augmenter depuis cinq ans, la hantise, c’est l’inflation. N’oublions pas que le point de départ de la position allemande, c’était de ne pas soutenir la Grèce. Le quotidien Bild, qui tire à des millions d’exemplaires, a titré pendant des semaines « L’Allemagne ne paiera pas pour la Grèce. » Eh bien, ils ont payé !
Il y a tout de même une différence de niveau dans le rapport franco-allemand. Les Allemands sont en meilleure santé économique et financière que nous.
Cette différence est temporaire. Sur le long terme, les fondamentaux français sont aussi bons, voire meilleurs, que les fondamentaux allemands. Notre démographie est plus favorable, notre géographie est un atout considérable, notre niveau de formation aussi. N’ayons aucun complexe d’infériorité vis-à-vis des Allemands. Je suis outré quand j’entends François Hollande dire que la France veut adopter le modèle allemand ! Aujourd’hui, nous traitons d’égal à égal. Et converger ne veut pas dire adopter le modèle allemand, qui a de gros défauts : une population active avec beaucoup de travailleurs pauvres ; l’absence de salaire minimal. Tout cela n’est pas acceptable pour nous.
De même, ne pas avoir de politique familiale offensive, c’est s’exposer à une démographie faible. Si, aujourd’hui, nous traitons d’égal à égal, c’est parce que l’Allemagne nous respecte et parce que nous sommes crédibles.
François Hollande était avec le SPD ce premier week-end de décembre. Nicolas Sarkozy recevait Angela Merkel lundi. La politique n’est-elle désormais que franco-allemande ?
Nous sommes face un choix historique. Nous pourrions opter pour le repli sur soi et le nationalisme, et même le retour au franc. Ce serait un choix désastreux. Ce serait décider l’appauvrissement des Français et la disparition définitive de l’Europe de la carte du monde. Je le refuse. Aujourd’hui, il serait tellement facile de céder au discours populiste, de faire des rodomontades. Le jeu auquel s’adonnent Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ou Arnaud Montebourg est un jeu dangereux, car ils bercent les Français d’illusions. Ils déforment la réalité. Notre souveraineté n’est pas menacée par l’Allemagne. Elle est menacée par les marchés financiers et un certain nombre de spéculateurs en raison du poids de notre dette. Pour retrouver notre souveraineté, nous devons réduire notre dette.
Avec le président de la République, nous avons fait le seul choix courageux et raisonnable. Faire la convergence avec l’Allemagne, même si c’est difficile. Je suis à Berlin une fois par mois, je connais bien les divergences profondes entre le peuple français et le peuple allemand. Je suis moi-même profondément attaché à ce qui fait la spécificité de la France. Mais si nous voulons une zone euro plus forte, si nous voulons des emplois, une industrie, une agriculture fortes dans le monde de demain, face à la Chine, à l’Inde, au Brésil, aux Etats-Unis, et surtout face aux marchés, alors la convergence franco-allemande est le seul choix possible. Ce sera long, mais cela donnera des résultats concrets. Tout autre choix nous conduira au déclin.
Justement, c’est ce que vous reproche François Hollande, qui explique que les marchés n’attendent pas…
François Hollande méconnaît la réalité. Vous ne convaincrez pas les Allemands du jour au lendemain. En France, sous la Ve République, il y a un chef qui donne un ordre et qui est suivi par sa majorité. En Allemagne, avant de prononcer le moindre mot sur un sujet comme l’intervention de la BCE, Mme Merkel doit obtenir l’aval de sa coalition et de sa majorité au Bundestag. Elle doit voir dans les Länder si cela ne pose pas de difficulté majeure. Il y a aussi le rôle de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, dont François Hollande ne dit pas un mot. Etre à ce point ignorant de la réalité politique de notre principal partenaire, je trouve cela très préoccupant ! Ne faisons pas croire aux Français qu’il suffit d’aller passer deux heures à Berlin pour que les problèmes soient réglés !
Assumez-vous le fait de dire qu’on défend mieux sa souveraineté nationale à plusieurs, comme l’a fait Nicolas Sarkozy à Toulon ?
Nous avons intérêt à l’assumer devant les Français. Nous n’abandonnons pas notre souveraineté nationale. Nous la transformons en souveraineté européenne, au niveau de l’euro. C’est cette souveraineté qui nous renforcera et qui nous protégera.
Parler d’un nouveau traité européen, ça réveille en France le traumatisme du « non » en 2005. Quelles seraient les chances d’aboutir ?
D’abord, comme toujours en démocratie, le peuple a raison. Si les Français manifestent autant d’euroscepticisme, c’est parce que l’Europe s’est profondément fourvoyée ces dernières années. Avant de parler des institutions, on doit parler des politiques. On fait l’Europe pour apporter quoi ? De la sécurité, de l’emploi, une meilleure formation. Les gens sont lucides. Ils ont par exemple parfaitement vu que dans Schengen, il devait y avoir deux piliers : l’ouverture des frontières à l’intérieur de l’Union, et un meilleur contrôle des frontières extérieures de l’Union. Et aujourd’hui, ils voient bien qu’il n’y a pas de contrôle extérieur. L’Europe déçoit parce qu’elle ne tient pas ses engagements. Si nous n’apportons pas la preuve de l’utilité de l’Europe, on court le risque de voir les nations se replier sur elles-mêmes, sur le nationalisme le plus étriqué.
Recueilli par Hélène Fontanaud, Marion Mourgue et Thomas Legrand
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