Le ministre de l’Intérieur a déposé plainte pour diffamation contre des habitants de Bagnolet, qui mettaient en cause la police dans la mort du jeune Yakou Sanogo. Leurs témoignages avaient été relayés par Libération et l’AFP, qui ne sont pas attaqués.
Brice Hortefeux a décidé de sévir. Le 2 septembre, le ministre annonce, dans un communiqué, avoir porté plainte contre des personnes interviewées par Libération et l’Agence France Presse (AFP).
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Dans ces articles du 10 août, des habitants de Bagnolet affirmaient avoir assisté à la poursuite de Yakou Sanogo, sur une moto, par une voiture de police. Le jeune homme était mort dans un accident, sans doute sans heurter le véhicule.
Un habitant cité par Libération, déclare pourtant : « La voiture de police, à hauteur de la moto, s’est rabattue contre elle. Il y a eu un impact » (et non pas « il y a un impact », comme indiqué dans le communiqué du ministère). Cité par l’AFP, un autre habitant qui se fait appeler El-Khassir (la dépêche précise que toutes les personnes interrogées ont requis l’anonymat) accuse : « La voiture de police l’a poussé, c’est de la faute des policiers », puis « ils l’ont tué. Ils sont responsables ».
Selon les premières conclusions de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), rendues publiques le 18 août, il n’y a vraisemblablement pas eu de choc entre les deux véhicules. Mais l’affaire avait soulevé dans la population un soupçon de bavure.
Brice Hortefeux invoque une « diffamation envers la police nationale ». Sa plainte vise « les seules personnes qui ont tenu ces propos diffamatoires –et non les organes de presse qui en ont rendu compte. » Une procédure pour le moins inhabituelle : en règle générale, les procès pour diffamation sont intentés aux médias eux-mêmes, qui ont relayé les propos, par l’intermédiaire du directeur de la publication.
Autre bizarrerie : la plainte est dirigée contre X. L’une des personnes citées était désignée par un prénom d’emprunt et l’autre uniquement par son âge.
Interrogée sur cette plainte, l’attachée de presse du ministre n’a pas souhaité s’exprimer « à la place du ministre », évoquant « une décision personnelle ». Elle rappelle que Brice Hortefeux « s’est exprimé lors d’un point presse ». Effectivement, le ministre se fend d’une phrase où il affirme « défendre l’honneur des policiers et la réalité des faits ».
Hortefeux ne développe pas, le ministère envoie les communiqués mais ne fera pas de commentaires. Les questions restent donc en suspens : pourquoi n’attaquer que les auteurs des propos et pas les journaux qui les relaient ? Pour Emmanuel Pierrat, avocat spécialiste du droit de la presse, « juridiquement c’est du grand n’importe quoi. Hortefeux versus Libé ça devait faire un peu trop, ils ont déjà donné. Cette plainte va tomber aux oubliettes, c’est juste un effet de communication. »
Quel est l’intérêt d’attaquer des témoins anonymes, si ce n’est pour l’exemple ? L’avocat est sévère : « C’est très symptomatique de la Sarkozie procédurière. Sarkozy lui-même est assez spécialiste, il ne peut pas passer deux mois sans porter plainte. »
Les journalistes auteurs des articles pourraient être interrogés sur l’identité de ces témoins, mais ne sont pas tenus de répondre. Ils ne sont pas poursuivis et doivent protéger leurs sources. C’est ce que fait Florent Pecchio, auteur de l’article dans Libération, qui « ne voit pas trop où veut en venir » Brice Hortefeux. Quant au témoin : « je n’ai pas son nom », jure le journaliste.
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