La campagne du camp en faveur du départ du Royaume Uni de l’Union Européenne a reposé en grande partie sur le rejet des migrants et une reprise de contrôle des frontières du pays. François Gemenne, chercheur à Science Po et à l’université de Liège, travaille sur les migrations et l’environnement. Il revient sur les répercussions à attendre du Brexit au niveau des mouvements de population.
Quels sont les principaux accords qui ont pour but de réglementer le parcours des personnes au sein de l’union européenne, et donc aussi les migrations ?
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François Gemenne – Il y a deux grandes réglementations. Il y a les accords de Schengen pour les ressortissants européens et les conventions de Dublin pour les demandeurs d’asile non-européen. En dehors de ça on peut dire que la politique migratoire européenne est famélique et se résume principalement à la surveillance et au contrôle des frontières extérieures de l’Union Européenne.
Quelle était la place du Royaume-Uni dans cette politique migratoire européenne jusqu’à maintenant ?
C’était concrètement celle du passager clandestin. Ils ne participaient pas à Schengen et finalement ils étaient assez peu concernés par la politique européenne d’asile et d’immigration. Le Royaume-Uni était peu concerné par l’afflux récent de réfugiés en Europe, peu concernés par l’immigration en provenance de la méditerranée et forcément peu concerné par la libre circulation puisqu’ils n’ayant pas ratifié Schengen. Ils ont deux points sur lesquels le royaume uni bénéficiait des politiques européennes en matière d’asile et d’immigration.
Tout d’abord, les conventions de Dublin qui permettaient au Royaume-Uni de rapatrier à leur point de départ des demandeurs d’asiles qui avaient atteint l’union européenne par un autre pays. Ces accords exigent que les demandeurs d’asile déposent leur demande dans le premier pays qu’ils atteignent en arrivant en Europe. Vu la situation du Royaume-Uni en Europe, il n’était presque jamais concerné, donc de ce fait ils pouvaient rapatrier la plupart des migrants vers l’Italie, l’Espagne ou la Grèce en fonction de leur point d’entrée dans l’union européenne.
Et puis il y a aussi Calais, même si ce n’est pas directement lié à l’UE. Puisque les accords du Touquet, qui sont des accords bilatéraux entre la France et l’Angleterre, permettent au Royaume-Uni de déplacer sa frontière à Calais et donc quelque part de sous-traiter le contrôle de ses frontières à la police française.
Quelles sont les conséquences migratoires pour le Royaume-Uni ?
Elles sont triples. Premièrement, le RU ne va plus pouvoir renvoyer les demandeurs d’asile dans d’autres pays de l’union européenne comme les conventions de Dublin le prévoyaient. Ils vont devoir conserver les demandeurs d’asile. Ensuite, vraisemblablement, je vois mal ce qui pourrait empêcher le gouvernement français de renégocier les accords du Touquet et donc quelque part de rétablir la frontière du Royaume-Uni dans leur terre plutôt qu’à Calais, donc en quelque sorte de laisser passer et de ne plus retenir les migrants.
Le territoire britannique va donc encore être plus affecté par les migrations alors que c’était l’un des arguments contraires du camp du « leave ».
C’est la logique de toute la campagne du Brexit, qui s’est appuyée sur des arguments xénophobes et mensongers au sujet des migrants. Donc il ne faut pas se tromper, pour l’Europe, le Brexit c’est aussi un vote d’extrême droite anti-migrants et anti-réfugiés. Le résultat va très certainement être paradoxal puisque le Royaume uni va se retrouver à accueillir marginalement davantage de migrants et d’avantage de demandeurs d’asile qu’auparavant.
Comment expliquez-vous ce rejet des migrants de la part des anglais ? Au final, les migrants dont parlait tant le camp du Brexit, à savoir les réfugiés qui traversent la méditerranée ou passent par l’Europe de l’Est, ne sont pas arrivés au Royaume-Uni.
Ils ne sont même pas arrivés jusqu’en France. Cela n’empêche pas les politiciens d’extrême droite en France comme le Front National de parler des réfugiés et d’un afflux massif de migrants. Donc on est ici en pleine démagogie. Et ça me frappe de voir ce fossé de plus en plus grand qui se creuse en Grande Bretagne entre des aspirations souverainistes et des aspirations cosmopolites. Cette montée des souverainistes, qui explique qu’il faut reprendre le contrôle de nos frontières, rétablir le mur et que chacun reste chez soi me paraît très forte. Je suis inquiet de la voir monter à droite comme à gauche.
Concernant les accords du Touquet, est-ce qu’il serait possible que la France les révoque unilatéralement et explique au Royaume-Uni que les frontières retournent de l’autre côté de la Manche ?
Elle peut le faire dès aujourd’hui. Sans exagérer. Ces accords peuvent être dénoncés par chacune des deux parties à l’aide d’une simple lettre recommandée à l’autre partie. Donc la France peut le faire dès maintenant et devrait, selon moi, le faire. Du moins elle devrait renégocier ces accords. La seule chose qui retenait de le faire jusqu’à maintenant, et qui a engendré cette situation à Calais, c’était une sorte d’équilibre diplomatique avec la Grande Bretagne. On ne voulait pas renégocier les accords de peur de remettre de l’huile sur le feu et de donner des arguments au camp du Brexit.
Mais puisque la Grande Bretagne est aujourd’hui en dehors de l’Union Européenne, je ne vois aucune raison de ne pas renégocier ces accords du Touquet, je ne vois rien qui retienne le gouvernement français sur ce sujet. Et il me paraîtrait même logique, vu que le Royaume Uni souhaite reprendre le contrôle de ses frontières, de déplacer de nouveau la frontière britannique en Angleterre.
Quels seraient selon-vous les effets de cette révocation si elle devait avoir lieu ?
Il faut voir la manière dont ça se produirait, si c’est une révocation pure et simple, la jungle de Calais disparaîtrait et tout le monde passerait en Angleterre et on les empêcherait de passer là-bas. On peut facilement imaginer une jungle de Douvres ou de Folkestone. Mais maintenant j’imagine que l’on va plutôt être dans une logique de renégociation que dans une dénonciation pure et simple.
Est-ce qu’il serait selon-vous nécessaire de mettre en place une politique migratoire européenne, ou est-il trop tard ?
C’est très souhaitable, plus nécessaire que jamais. On voit bien que la solution à la crise humanitaire terrible qui se joue aux portes de l’Europe ne peut être qu’une solution européenne. On voit bien la nécessité impérieuse de mettre en place une vraie politique d’asile et d’immigration dans l’UE. C’est cette absence totale de projet politique qui fait qu’elle se résume à la fermeture des frontières et aux drames que l’on sait.
Maintenant, malheureusement, on voit que la question de l’immigration divise profondément l’Europe. C’est la question de l’immigration, comme le dit Nigel Farage lui-même, qui est aujourd’hui le principal déterminant du vote pour le Brexit. L’incapacité des européens à donner une réponse, à développer une politique commune sur ce sujet a provoqué la désunion de l’Europe et la perte d’un de ses membres, au sens propre.
Mais est-ce qu’elle pourrait vraiment changer les choses ?
Disons qu’une politique migratoire européenne ne va pas régler tous les problèmes de la migration dans le monde. Mais plus on attend pour avoir cette politique d’asile et d’immigration, plus l’immigration va désunir les européens, plus elle va amener des replis sur soi qui peuvent aller jusqu’à la sortie d’un état membre et plus elle va servir d’une espèce de bouc émissaire de ce qui ne va pas en Europe.
Quelle est la réalité de la migration vers l’Europe ? Est-ce qu’elle si terrible que ce que veulent bien dire les pro brexit ?
Je dirais que la problématique principale de l’immigration aujourd’hui ce sont les drames qui se déroulent en méditerranée. Ce qui fait que l’Europe continue d’être la destination la plus dangereuse pour les migrants et les réfugiés. C’est la question, la problématique, l’urgence numéro un. L’Angleterre est très peu concernée par cela parce que l’arrivée de migrants en Angleterre n’a pas du tout augmenté à la suite de ce phénomène. L’économie de l’Angleterre repose très largement sur l’immigration et j’irais même jusqu’à dire sur l’immigration illégale. Le travail au noir est un élément tout à fait essentiel de l’économie britannique.
Mais c’est une question qui est la même depuis de très nombreuses années et il n’y a pas du tout de crise de l’immigration ou de crise des réfugiés en Grande Bretagne, les chiffres n’ont guère bougé depuis quelques années et ça représente quelque chose comme une évolution annuelle de 0,5% de la population. Nous ne sommes pas du tout face à une situation de crise. C’est quelque chose qui est très instrumentalisé par les politiques. Quand on voit les chiffres, la Grande Bretagne reçoit 333 000 migrants chaque année, un peu plus que la France, qui délivre 200 000 permis de séjour tous les ans. L’Angleterre est un pays qui reste un peu plus attractif pour les migrants mais qui n’est pas confronté à une crise migratoire, je dirais même au contraire.
Cette sortie de l’Union Européenne pose aussi un problème pour les citoyens des pays européens qui vivent au Royaume Uni mais aussi pour les citoyens anglais qui vivent sur le continent, non ?
Bien sûr. il faudra voir ce qui sera négocié, on n’imagine pas trop que l’Angleterre impose des visas aux ressortissants européens ou que l’union européenne le fasse pour les ressortissants britanniques. Mais il est certain que toute une série d’accords comme Erasmus ou d’autres de libre circulation des travailleurs vont être menacés. Je pense aux chercheurs, aux étudiants, même aux footballeurs. Est-ce que le marché des transferts va rester en l’état ? Je n’en suis pas sûr. Ce qui est certain, c’est qu’il va être beaucoup plus compliqué à l’avenir de se déplacer pour travailler ou étudier en grande Bretagne, et vice versa.
Propos recueillis par Xavier Eutrope
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