Insultes raciales, actes de vandalisme… Depuis la victoire du Brexit, le nombre de crimes de haines a fortement augmenté au Royaume-Uni. Si les polonais et les musulmans sont les plus touchés, la promesse d’une sortie de l’UE a plus largement légitimé le discours xénophobe.
La baie vitrée du centre culturel polonais d’Hammersmith, à Londres, est désormais immaculée. Seuls les bouquets de fleurs disposés sur le comptoir de la réception rappellent que, deux jours après le référendum, un graffiti xénophobe a été retrouvé sur les vitres de la façade. « En gros c’était écrit « rentrez chez vous » mais en plus vulgaire », explique avec pudeur Joanna Mludzinska, la présidente de l’institution qui fête ses 50 ans cette année. Immédiatement effacé – « pour que les visiteurs ne soient pas confrontés à ce message brutal » – ce graffiti, dont l’auteur n’a pas été retrouvé par la police, a fait réagir. Juste après l’incident, le centre a reçu des bouquets de fleurs, des cartes postales et un bon nombre d’email, de la part de « britanniques désolés, honteux, qui ont voulu dire à la communauté polonaise qu’elle ne devait pas se sentir blessée et rejetée par la société », précise Joanna Mludzinska. Depuis, elle répète cette histoire aux journalistes qui ont défilé dans ce centre culturel devenu symbole de la montée du racisme au Royaume-Uni.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Rentre chez toi »
Les chiffres parlent d’eux mêmes. La semaine suivant le résultat du référendum, le nombre de crimes de haine a quintuplé : 331 incidents ont été rapportés à la police au lieu d’une soixantaine en moyenne. Dans la rue, dans les transports en communs, des citoyens européens, des britanniques non-blancs, des musulmans ont été sommés de « rentrer chez eux ». C’est le cas d’Esmat Jeraj, une londonienne de 26 qui porte le hijab. « Des amis à moi ont été traités de n-word [nègre] et de p-word [paki – diminutif de « pakistanais » à la connotation négative] », ajoute la jeune femme qui est née et a grandi dans la capitale. « Ce ne sont que des insultes mais les gens s’inquiètent. Je connais des personnes qui ont peur de sortir de chez elles ou de prendre les transports en commun la nuit pour des raisons de sécurité. »
Racisme généralisé
Outre les attaques verbales, des cartes « la vermine polonaise, ça suffit » ont été glissées dans des boîtes aux lettres à Huntindgon, dans le Cambridgeshire, un cocktail Molotov a été balancé dans une boucherie halal à Walsall, dans les Midlands de l’Ouest… Si les communautés musulmane et polonaise sont les plus touchées, Paul Bagguley, professeur en sociologie à l’Université de Leeds, dresse un bilan plus sombre :
« La campagne a généralisé le racisme et le Brexit est devenu une sorte de célébration de l’identité anglaise. Toute personne qui ne remplit pas les critères de l’anglais blanc, sans accent étranger, est la cible de cette hostilité. »
Marquée par un discours négatif sur l’immigration, la campagne a légitimé la haine des immigrés. « Le camp du Leave parlait de reprendre le contrôle, de contrôler l’immigration… Certaines personnes lisent entre les lignes et se disent que le pays va se débarrasser de tous ses immigrés », déplore Joanna Mludzinska.
Un discours hostile aux immigrés
En réalité, la campagne n’a fait que valider un discours politique qui est depuis longtemps hostile aux immigrés. Et on ne parle pas seulement de la rhétorique xénophobe de Nigel Farage, le leader du parti europhobe UKIP qui a quitté son poste après la victoire du Brexit. L’été dernier, le premier ministre David Cameron avait utilisé des termes déshumanisants comme « nuée » pour qualifier les réfugiés qui tentaient de passer la frontière à Calais. Quelques mois plus tard, lors de la conférence du parti conservateur en octobre 2015, sa ministre de l’Intérieur, Theresa May, avait fait un discours polémique, résolument anti-immigration, dans lequel elle proposait de limiter le nombre de demandes d’asile au Royaume-Uni, et de mettre en place des mesures pour réduire l’immigration européenne. Aujourd’hui, la favorite à la course au 10 Downing Street refuse de garantir aux immigrés européens qu’ils pourront rester sur le sol britannique une fois que le pays sortira de l’UE.
Une parole raciste libérée
Ce genre de discours, doublée d’une instabilité politique, favorise la libération de la parole raciste selon Paul Bagguley.
« Les personnes racistes savent qu’ils vont à l’encontre de la morale publique, mais la crise leur donne en quelque sorte le courage d’exprimer les opinions qu’ils gardaient pour eux ».
Bien sûr, ces individus représentent une minorité, « mais bruyante » note Esmat. C’est pour cette raison que son association London Citizens a organisé la campagne éphémère « Love London, No Place for Hate », qui consistait à distribuer des stickers en forme de cœur à la sortie de stations de métro et surtout à encourager les londoniens à signaler à la police les crimes de haine dont ils sont témoins ou victimes. Plusieurs campagnes positives, notamment sur les réseaux sociaux, ont été lancées, mais pour Nick Ryan, le porte parole de l’association Hope Not Hate, qui se bat pour « un Royaume-Uni moderne, inclusif » :
« Le Brexit a ouvert une boîte de Pandore et a profondément déchiré le pays. Il va falloir beaucoup de travail pour effacer ces divisions. »
{"type":"Banniere-Basse"}