Il quitte la présidence du Brésil avec 80 % d’opinions favorables. Reportage auprès de ses fans, les ouvriers, les femmes, les pauvres, ses companheiros à qui il a rendu fierté et espoir.
Pirituba est l’un des quartiers les plus pauvres et les plus dangereux de São Paulo. Dans cet endroit où la police ne se rend quasiment plus, on ne rentre que sous la protection du gang local, le Premier commando de la capitale (PCC). Un chef de clan nous accompagne tout au long de la visite. A Pirituba, aucun magasin ne s’ouvre sans l’accord du PCC ; l’économie informelle occupe 20 % du business local. Dans les favelas du quartier, certains habitants vivent dans le dénuement le plus total. Ici, les supporters du Corinthians sont nombreux, comme le prouve dès l’entrée du quartier un immense mur tagué aux couleurs du club.
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« Nous sommes corinthianos mais ce n’est pas pour ça que nous avons voté Lula ou que nous voterons Dilma. Ce qui nous fait voter pour le PT, c’est la certitude que nos vies seront meilleures. Grâce à Lula, mon fils peut aller à l’école près de chez nous. Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école, quand j’étais jeune, je faisais sept kilomètres à pied pour travailler dans les champs. Je viens du Nordeste, là aussi, Lula a changé la vie des gens, il leur a donné accès à l’eau, à la santé. Tout cela, nous ne l’avions pas avant », explique Gerson, 38 ans.
Gerson a six enfants, de deux mariages différents. Il est installé à Pirituba depuis treize ans. Neuzia, elle, a 42 ans, elle en paraît 60. Ses parents sont venus du Paraguay, elle est devenue brésilienne. Elle habite une maison en bois délabrée et quasi insalubre dans une petite ruelle de Pirituba. Son mari nous voit mais il ne sort pas. Neuzia ne votera pas Dilma, sans trop savoir pourquoi. Lorsqu’on lui demande ce que le passage de Lula a changé pour elle, elle répond « pas grand-chose ». Mais elle dit que pour d’autres, ça a été positif. Elle a voté Lula aux précédentes élections.
« Nous avons de l’amour pour Lula, et c’est pour cela que nous votons pour lui. Il a fait beaucoup de choses, mais c’est peut-être trop tard pour moi. Pourtant je l’ai toujours aimé, plus que les autres, car il a eu une vie difficile, comme moi. Je me sens proche de lui pour ça. »
Un peu plus loin on croise Sabrina, 32 ans. Elle nous avoue qu’elle songe à voter pour José Serra, « parce qu’il est meilleur que Lula sur la santé ». Deux types lui tombent gentiment sur le râble, une discussion s’engage. Elle dure près de quinze minutes, un gars du quartier défend le bilan de Lula devant Sabrina. A la fin de la discussion, elle nous avoue penaude qu’elle va reconsidérer sa décision. Lula ou pas, le chef du clan nous demande de regagner nos voitures et de quitter Pirituba : un mauvais coup se prépare. Le passage de Lula au pouvoir a réduit les inégalités mais n’a pas fait disparaître la violence. Ces trois derniers mois, près de 700 personnes auraient été tuées par balle à São Paulo.
« Lula n’a pas réglé tous les problèmes. Au Brésil, les très riches exploitent encore beaucoup de gens très pauvres. Les choses vont de mieux en mieux, certes. Les politiques volontaristes de Lula ont porté leurs fruits », explique Marcelo Coelho, éditorialiste au grand quotidien Folha de São Paulo. « Les scandales de corruption qui ont frappé le PT n’ont pas atteint Lula, cela lui a même permis de faire le vide. Lula, il faut le dire, a eu beaucoup de chance. Il y a certes eu une vraie rencontre entre lui et le Brésil, mais la croissance forte du pays l’a beaucoup aidé : cette année, 7 % encore, ce qui place le Brésil au même niveau que l’Inde et la Chine. Il en a peut-être profité un peu plus que les autres. Pour la première fois, on se dit que le Brésil pourrait vivre ses trente glorieuses. Tout le monde l’espère en tout cas. »
La ville de São Bernardo jouxte São Paulo. C’est ici que Lula a mené ses premières luttes dans les années 1970. São Bernardo apparaît comme un symbole de ce Brésil ambitieux. Des dizaines de tours en construction, dont les appartements sont presque tous vendus, toisent désormais la ville. Les ouvriers des usines peuvent espérer accéder à la propriété. São Bernardo devient peu à peu une ville de classe moyenne, ce qu’elle n’était pas il y a encore dix ans.
Lula est passé par là. Le puissant syndicat de la métallurgie, dont il fut le président à 30 ans en 1975, a garanti sur la durée des salaires moyens plutôt élevés, 1 500 reals dans la métallurgie contre 500 pour le salaire minimum (686 euros contre 228). Tout est parti de l’usine Scania, où Lula a mené les grèves devenues mythiques de la fin des années 1970.
« Je n’ai pas compris tout de suite ce qu’a fait Lula pour la métallurgie. Mais au contact des anciens, j’ai réalisé. Ils m’ont raconté ces épopées. Les luttes menées par son syndicat ont permis de garantir des acquis, des droits. Je n’ai jamais voté pour Lula, je le regrette un peu aujourd’hui, je vais me rattraper en votant pour Dilma », raconte Cesar Paolo Brito, la trentaine, salarié de Scania.
Il est 16 h 15 : l’usine déverse un flot d’ouvriers, en récupère un autre. Tous portent l’uniforme de cette firme suédoise où est paradoxalement apparu l’embryon de ce nouveau Brésil.
Centre-ville de São Paulo, 7 heures du matin, proche de la grande Praça da Sé. Le soleil se lève sur la ville. Les équipes de nettoyage paulistes passent le jet d’eau dans les « rues dortoirs ». La police vient juste d’évacuer les sans-domicile qui ont passé la nuit dans les rues commerçantes. São Paulo est une mégalopole qui se lève aux aurores.
Un peu plus loin, la sortie de métro déverse dans la ville des milliers de travailleurs. Certains, traits tirés, sourires rares, se sont levés très tôt, parfois avant 5 heures, pour faire le trajet qui sépare leur favela de São Paulo. Les femmes sont très nombreuses, souvent habillées avec une certaine recherche. Ces visages marqués sont ceux d’un Brésil en marche, celui que Lula aura réussi, après huit années de gouvernement, à laisser derrière lui.
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