Avec les chroniques hilarantes d’un mec ordinaire, racontées en une minute trente chaque jour sur Canal+, les auteurs de Bref font l’événement de la rentrée télé
Dans la masse parfois indigeste des programmes de rentrée – longs, interminables, vains, futiles, au choix –, il en est un qui se distingue nettement – court, dense, pertinent, audacieux : Bref. Un programme quotidien d’une minute et demie racontant “les chroniques extraordinaires d’un mec ordinaire” dans Le Grand Journal. Il aura suffi d’à peine quelques jours pour que les réseaux sociaux consacrent Bref comme la seule réussite de l’émission de rentrée de Michel Denisot.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Déjà 800 000 amis sur Facebook, des retours flatteurs un peu partout, le buzz est assuré. Si l’effet de curiosité de l’émission tient en partie au vide télévisuel environnant, Bref a pour elle d’inventer un ton et une écriture télévisuelle à partir d’un motif ténu et tout sauf original : les affres d’un jeune homme dont le cadre de vie se résume essentiellement à un studio en bordel. Le récit du programme court se réduit d’abord à l’idée d’habiter l’espace. Le tour de force de Bref tient à la contrainte spatiale qui détermine l’écriture.
Une vie extérieure toujours décevante
Le héros de la série (Kyan Khojandi) passe tout son temps sur son lit et devant son ordinateur, les objets obsessionnels d’un quotidien en mal de vibrations. C’est là qu’il prépare ses rendez-vous, répète un entretien d’embauche, drague des filles sur Facebook, se masturbe à l’envi, reçoit ses amis… C’est dans cet antre de la jeunesse déconfite, une grotte secrète, qu’il imagine les scénarios possibles d’une vie extérieure et exaltante, et pourtant toujours décevante. C’est moins la figure du loser contemporain que Bref dessine que celle du combattant désinvolte de l’impossible réussite, auquel il est socialement tenu.
L’air de rien, par le goût des détails anodins, par le sens du raccourci sociologique, Bref a la force d’un témoignage ludique sur le réel du trentenaire désabusé. Chaque épisode décline une histoire précise, cohérente, bouclée, où de l’amorce à la chute, les pensées du héros fusent et se perdent dans un hilarant fiasco : “Bref, j’ai passé un entretien d’embauche”, “bref, j’ai fait un repas de famille”, “bref, j’ai traîné sur Internet”, “bref, je remets tout à demain”, “bref, j’ai dragué cette fille”, “bref, je me suis préparé pour un rendez-vous”…
Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo
Ecrite et réalisée par deux jeunes comédiens, Kyan Khojandi et Bruno “Navo” Muschio, produite par Harry Tordjman, Bref prolonge la longue tradition des programmes courts de Canal+ qui visent à raconter, via le registre de la fiction comique, les dérives du monde contemporain (comme Le Bidule, diffusée en 2000, où des personnages racontaient aussi leur désarroi, sur un mode plus politique).
La densité de l’écriture des auteurs de Bref, serrée, ciselée, ultraspeed, et la réalisation habile, centrée sur des personnages filmés comme des animaux en cage, mettent sous tension le téléspectateur, happé par ces microfictions qui abritent les travers de leur temps. Pas besoin de faire plus long, tout est dit. Bref, on regarde.
Jean-Marie Durand
{"type":"Banniere-Basse"}