L’écrivain Alain Mabanckou a remis mardi soir à New York le prix du Pen Club, le « Freedom of expression courage » à « Charlie Hebdo ». Une remise de prix contestée par six écrivains, vite suivis par plus de cent cinquante, déclarant le journal satirique raciste.
Comment s’est déroulée la soirée hier soir ?
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Alain Mabanckou – De bout en bout, c’était une soirée très réussie, et je pense que l’affluence – plus de huit cents convives dont l’actrice Glenn Close – était pour moi une très grande surprise.
Comment expliquez-vous la réaction de ces deux cents écrivains contre « Charlie Hebdo » ?
J’ai discuté avec certains qui m’ont avoué n’avoir jamais ouvert ce magazine et avoir signé parce que, d’après eux et d’après ce qu’ils avaient entendu, Charlie Hebdo était un magazine raciste ! Ils ne connaissent donc de ce magazine que les quelques ragots et les Unes sur Mahomet exhibées ici et là et détournées de leur contexte. Il y a certainement dans cette contestation une méconnaissance de la société française, avec sa liberté de la critique et la variété de sa presse.
Quelles sont les différences culturelles entre Américains et Français qui auraient engendré une telle réaction ?
Pour certains écrivains américains, les “minorités” devraient être protégées de toute « attaque », de toute critique ou de toute caricature – c’est le culte de la bonne conscience, cette hypocrisie américaine qui ne dit pas son nom. On ne peut donc pas critiquer les Noirs, les Jaunes, les hétéros, les homosexuels, sans pour autant être taxé de tous les démons. Dans la culture française cela pourrait se faire avec, évidemment, la possibilité pour les individus ou les représentants d’organisations de porter plainte si cette critique ou cette caricature dépassait les limites prévues par la loi.
Pensez-vous que les Américains et les Français n’ont pas la même conception ni le même rapport à la religion ? A la liberté d’expression ?
Le président français ne prête pas serment en posant une main sur la Bible. La religion relève, pour certains Américains, du domaine de ce qui ne doit jamais être critiqué ou contesté. C’est donc une vérité absolue, ultime, bien au-delà même de la Constitution, qui elle-même paraît alors comme une volonté d’entériner la toute-puissance du Seigneur sur le destin du pays. Le rapport est totalement différent en France où le principe est la laïcité de l’Etat, et où la religion n’est pas exempte de regard critique. C’est la reconnaissance d’un « droit au blasphème ». Et le blasphème fait partie de la liberté d’expression.
Juste après l’affaire Ferguson, et celle de Baltimore, quand le racisme redevient virulent aux Etats-Unis, il me semble que ces auteurs ont peu réagi. N’est-ce pas un paradoxe ?
La posture de contestataire est certes louable, et je présume que les deux cents écrivains qui l’affichent la savourent à volonté. Cependant, lorsque sur son propre sol en Amérique, le racisme continue à occuper les Unes des journaux, on se demande en effet à quoi cela sert de déserter un gala de remise de prix à un hebdomadaire antiraciste alors que l’occasion aurait été belle de pointer du doigt les failles du système américain ! En cela je dis que ces écrivains n’ont pas rendu service à l’Amérique et ont indirectement légitimé « l’arrogance » des intolérants !
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