Proximité, rigueur, questions qui tuent : le présentateur vedette dope les audiences de RMC. Quitte à être accusé de démagogie. En partenariat avec Rue89.
[attachment id=298]Pas satisfait, Jean-Jacques Bourdin : « C’était une mauvaise matinale. Enfin, c’est ma perception. » Il est 11h10, ce mardi. Il s’assied pour l’interview dans un fauteuil surplombant le périphérique redevenu fluide. A trois mètres de lui, des hommes installent un buffet : RMC célèbre sa 34e progression consécutive dans la vague bimestrielle d’audience des radios.
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Redouté des politiques, taxé de « populisme » ou de « démagogie » par ses détracteurs mais loué par ses pairs, y compris à France Culture, le doyen (60 ans) des matinales généralistes françaises ne doit pas produire une si « mauvaise » émission, en moyenne.
Sylvain Niquet, directeur des études radio à l’agence Carat, constate :
« Bourdin est la locomotive de RMC, qui connaît une progression continue depuis neuf ans dans un secteur très concurrentiel. C’est impressionnant. »
Cinq heures trente plus tôt, le présentateur de la petite radio qui n’en finit plus de monter a déboulé au 6e étage de l’immeuble du groupe NextRadioTV, porte de Versailles, à Paris. « Quand il arrive, il a les crocs », commente François Richer, qui réalise l’émission depuis les débuts de Bourdin sur RMC, en 2001.
Suffisamment d’appétit, en tous cas, pour enchaîner quatre heures d’antenne entre 7 et 11. Plus que ses concurrents, avec moins de chroniqueurs qu’eux, et plus d’échange avec les auditeurs.
Cette recette « talk » de RMC a bouleversé le paysage radiophonique français au début du millénaire. Quand Alain Weill rachète cette antenne, fin 2000, elle n’est plus que le spectre de la légendaire Radio Monte Carlo, avec 1,9% de part d’audience.
Selon les derniers chiffres Médiamétrie, cette part est aujourd’hui de 6,8%, ce qui en fait la quatrième radio généraliste de France, derrière RTL (12,4%), France Inter (9,6%) et Europe 1 (8,6%). Comment l’expliquer ?
[attachment id=298] La proximité du « talk » : faire « accoucher » les auditeurs
En une décennie, les concurrents ont tiré les leçons du succès de RMC en saupoudrant leur recette de tout ou partie de ses ingrédients (« Info, talk, sport »). Et sur le « talk » avec les auditeurs, Bourdin, choisi par Weill (qui avait aussi pensé à Stéphane Paoli), reste insurpassé.
Voici « Gisèle, femme, 57 ans, employée, transports, Haute-Garonne », selon ce que lit « M’sieur Bourdin » sur l’écran placé devant lui. Elle vient parler de la loi sur la burqa. Il la lance :
« Bonjour Gisèle. Z’êtes pas raciste, vous, Gisèle ? »
Souvent, Bourdin connaît la commune d’où appelle son interlocuteur, « Ah oui, je vois ». Parfois, il connaît l’interlocuteur lui-même : « Je vous ai déjà eu, vous ! » Toujours, quand il leur parle en tripotant son stylo ou sa bouteille d’eau, il utilise les mêmes gimmicks : « Chacun a droit à la parole », « Comment faites-vous ? Dites-nous ! », « Vous aimez, vous n’aimez pas ? », « Moi, je dis toujours : il faut se méfier des effets d’annonce. »
En régie, où l’ambiance est concentrée mais volontiers rigolarde, la phrase suscite de grands éclats de voix : « Ah bah oui, ça tu le dis toujours ! »
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La rigueur journalistique en direct
Le rédacteur en chef de RMC, Christophe Jakubyszyn, est arrivé début 2009, en provenance du Monde où il a passé 13 ans. Ce « transfert » avait surpris le microcosme. Il explique :
« Bourdin ne correspond pas à l’image qu’en a l’establishment. […] Je fais ici exactement le même métier qu’au Monde, sauf que Bourdin le rend plus accessible. »
Pour Nicolas Demorand, qui présente la tranche concurrente de France Inter, Bourdin est :
« Pro, singulier, non formaté. Il réussit à faire du journalisme populaire de qualité, ce qui est extrêmement difficile et extrêmement rare. »
Marc Voinchet, titulaire de la matinale de France Culture (la seule avec celle de RMC à ne pas avoir d’humoriste), est tout aussi élogieux, même s’il n’aime pas le côté « talk » :
« Jean-Jacques Bourdin n’abonde jamais dans ce qu’on reproche traditionnellement à RMC, c’est-à-dire le populisme. Il a la dextérité et l’exigence des grands journalistes sportifs, qu’il tire de son passé au service des sports de RTL.
Il affronte tous les sujets dans l’instant présent et sait décrypter en direct. Là où je l’admire, c’est dans sa conjugaison entre rigueur journalistique et son côté tout terrain. »
L’animateur de la matinale d’Europe 1, Marc-Olivier Fogiel, n’avait « pas le temps » de s’exprimer sur son concurrent. Coïncidence, la radio du groupe Lagardère est celle que Bourdin « aime le moins » :
« C’est une radio factice, qui fait dans le people, ce dont j’ai horreur, et assez proche du pouvoir. Mais les journalistes sont bons. Si j’étais auditeur, j’écouterais France Culture. »
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Poser des questions concrètes aux politiques
A 8h28, Jean-Jacques Bourdin prend l’ascenceur avec son assistante, Marie Boule, pour se rendre dans le studio de BFM-TV, au rez-de-chaussée. « C’est quoi ? », lui demande-t-il, en louchant sur la feuille qu’elle tient : ses fameuses « questions politiquement concrètes », qui ont tellement destabilisé les politiques sur les sous-marins nucléaires, Al-Qaeda ou le Web 2.0. « Non, pas tout de suite », répond la jeune femme.
L’invité du jour, Jean-François Copé, finit par expliquer la différence entre burqa et niqab, après une petite confusion. (Voir la vidéo)
par bourdinandco
D’autres n’ont pas du tout apprécié de se faire ainsi moucher : « Frédéric Lefebvre, ça fait 20 fois qu’on l’invite, mais il ne veut plus venir depuis l’histoire du Web 2.0 », raconte Bourdin. « Christian Estrosi a été voir tous ses collègues du gouvernement en leur demandant de ne plus venir chez moi. » Ils ne l’ont pas écouté. « Et Bernard Kouchner ne veut pas venir. » Nicolas Sarkozy non plus, depuis son élection.
Directeur adjoint de la rédaction de RTL, l’animateur des « Auditeurs ont la parole » (comme Bourdin dans les années 90) Jérôme Godefroy estime que Bourdin a « un culot monstre » :
« Ce n’est pas un journaliste politique, et c’est ça qui fait sa force. »
Bourdin, qui dit avoir voté « à droite, puis à gauche, puis à droite, puis à gauche », concède être sensible à une critique : celle de trop couper la parole à ses invités. On se souvient notamment de passes d’armes tendues avec une Rama Yade très interloquée.
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Et après… se renouveler
Jean-Jacques Bourdin, l’autodidacte venu d’Alès (Gard), est aujourd’hui considéré par certains comme « le meilleur intervieweur de France ».
L’UMP a déjà demandé à ses adhérents de bombarder son standard.
Sa matinale, comme le reste de l’antenne de RMC, est écoutée par un panachage assez homogène de catégories socio-professionnelles, avec un meilleur score que RTL sur les fameuses CSP+, chouchou des publicitaires.
Franck Lanoux, le directeur général de RMC qui est allé aux Etats-Unis en 2000 pour s’inspirer des meilleures émissions de « talk » en vigueur là-bas, sait qu’il dépassera un jour les 8 points de part d’audience, mais ne sait pas quand.
Seule ombre au tableau, la chute de la matinale de Bourdin sur un indicateur, l’audience instantanée (le nombre moyen d’auditeurs à un instant T) : -13% sur un an, là où RTL baisse de 6%, alors qu’Europe et Inter montent de 3%.
L’animateur envisage de « pourquoi pas, recomposer [son] audience avec les réactions de gens qui sont sur Twitter ».
Et au fait, que répond Bourdin quand on l’interroge sur son grand défaut -le populisme, la démagogie-, selon ses détracteurs ?
« Parce qu’on donne la parole à tout le monde, c’est ça ? J’ai à cœur la tolérance. Je les invite à lire John Locke. »
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