Ils sont riches, adulés mais ils ont un problème avec la France, à moins que ce ne soit l’inverse. Quand Booba croise son pote Nicolas Anelka, ils parlent du pays. L’interview croisée exclusive, ici en intégralité.
Londres, mercredi 24 novembre. Nicolas Anelka est un peu à la bourre mais tout va bien. Posé sur un gros canapé, Booba a ouvert une bouteille d’eau gazeuse et il patiente tranquillement. Sorti deux jours plus tôt, son dernier album Lunatic cartonne, il le sait, rien ne peut lui arriver.
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Quand Nicolas Anelka, vainqueur la veille avec Chelsea en Ligue des champions, entre finalement dans le studio, il se redresse et sourit discrètement. Les deux hommes ne sont pas des grands expansifs, mais ils s’apprécient et se ressemblent. Ils sont souvent dans la ligne de mire et ne laissent personne indifférent. Ensemble, Anelka et Booba vont parler de foot, de rap et surtout de la France, leur pays quand même.
Quand vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ?
Booba – Je crois que c’était chez Omar, d’Omar et Fred. Il nous a présentés à l’occasion d’un barbecue, chez lui à Maisons-Laffite.
Nicolas Anelka – C’était pendant l’été 2005, à l’époque je jouais en Turquie, à Fenerbahçe.
Nicolas, tu connaissais Lunatic, le premier groupe de Booba ?
Nicolas Anelka – Oui, j’ai découvert Lunatic en 2000. Je n’avais jamais écouté beaucoup de rap français : dès l’âge de 17 ans j’ai quitté la France pour aller jouer en Angleterre, à Arsenal, où j’ai très vite écouté du rap américain – dans les vestiaires, en Angleterre, on a des sonos et les mecs passent tous les trucs hip-hop US du moment. Lunatic, c’est un de mes coéquipiers de l’équipe de France espoirs, Philippe Christanval, qui m’a fait connaître. J’ai tout de suite accroché sur les textes, sur la voix de Booba. J’aimais bien son attitude aussi. Aujourd’hui, je passe ses morceaux dans les vestiaires à Chelsea. Ça va, les gars aiment bien.
Booba – Je ne suis pas à fond dans le foot, mais je connaissais le nom de Nicolas depuis longtemps. Le sport m’intéresse, mais pas vraiment les sports collectifs. J’ai rarement joué au foot. A part une fois, on m’a fait rentrer à dix minutes de la fin, sous la pluie, j’ai mis quelques tacles et je suis sorti.
Nicolas Anelka – Moi, je n’aurais jamais pu être rappeur. J’en connais des rappeurs, c’est un métier. J’ai déjà essayé, le résultat est dégueulasse (rires). Il faut savoir écrire des textes aussi, et c’est pas mon truc. J’ai arrêté les cours assez vite à cause du foot, à partir de la troisième j’ai eu des programmes aménagés pour pouvoir aller aux entraînements, donc je n’ai pas vraiment eu le temps d’étudier le français…
Booba – Tu sais pas lire en fait (éclats de rire).
Vous avez en commun d’être partis vivre très tôt à l’étranger ; toi, Booba, tu est parti un an à Detroit à l’âge de 15 ans. Nicolas, à 17 ans tu étais à Londres…
Booba – Ça ouvre l’esprit. Quand je suis arrivé à Detroit, j’ai eu l’impression d’être au bled. Il y avait des Renois partout autour de moi, qui s’habillaient comme moi. A Paris, quand je me pointais habillé un peu chelou dans la rue avec ma casquette, tout le monde me prenait pour un extraterrestre. Là-bas, je me suis senti libre.
Nicolas Anelka – Moi, dans le foot, je n’ai rien fait comme les autres. En 97, j’ai été le premier jeune footballeur français encore en formation à signer un contrat pro à l’étranger. J’ai ouvert la brèche à d’autres jeunes qui voulaient quitter la France. J’avais mes frères comme agents aussi, et ça, ça ne passait pas. Je me souviens qu’à l’époque le PSG voulait me mettre des agents dans les pattes, ils n’acceptaient pas que ce soit des gens de ma famille qui s’occupent de moi.
Tu gagnais combien quand tu étais au PSG ?
Nicolas Anelka – Je gagnais 1 200 francs par mois. Arsenal m’a proposé 50 000 francs. Mais ce n’était pas une question d’argent, je ne suis pas allé en Angleterre pour la thune, d’ailleurs le PSG m’a proposé plus qu’Arsenal. Je voulais juste jouer.
Booba – Si j’ai monté mon propre label, c’est aussi parce que j’y ai été obligé. J’ai compris que c’était le seul moyen de faire ma musique sans aucune contrainte. Les majors me demandaient de changer des trucs, de faire ci, de faire ça.
Après, j’ai conservé cette dynamique, cet état d’esprit. Heureusement d’ailleurs, comme ça je n’ai pas signé pour dix ans avec une maison de disques. Ça serait une catastrophe aujourd’hui, je serais obligé de prendre le métro. J’ai réussi sans Skyrock. Avec Lunatic, on a fait disque d’or en indépendant. Ils étaient niqués. Ils ne pouvaient pas dire « c’est nous qui les avons lancé, bla bla bla… » Non, on l’a fait tout seul. Et ils n’aiment pas. Ils aiment avoir le contrôle.
Vous avez un rapport aux médias assez similaire. Vous vous êtes construits sans eux, voire contre eux.
Booba – Je considère que les médias ça ne fait pas partie de mon métier. Quand j’étais jeune, je voulais faire du rap, pas donner des interviews. Je pense que Nicolas c’est pareil : quand il était petit, il voulait marquer des buts, pas passer dans Téléfoot.
Nicolas Anelka – Exactement, je n’ai jamais pensé à autre chose qu’au foot. L’image, tout ça, je n’y avais jamais songé. Il faut dire que quand j’ai débuté ça n’était pas aussi important. Je n’ai jamais eu de bons rapports avec la presse parce que juger depuis les tribunes, je trouve ça un peu facile. Quand j’aurai fini ma carrière, on ne me retrouvera pas commentateur ou consultant, je peux le jurer. Et puis être copain avec un journaliste sportif pour avoir de bonnes notes ou pour avoir des articles, ça n’est pas mon truc. Je sais que ça aurait pu me simplifier la vie de le faire, certains ont fait toute leur carrière grâce à ça. Mais je n’ai jamais voulu faire ce compromis.
Parce qu’on ne parle pas beaucoup, les gens s’imaginent des choses. Par exemple, contrairement à ce qu’on disait, je kiffais de jouer dans une équipe comme Bolton. Je kiffais vraiment ma vie. La mentalité était différente. Dans un petit club comme ça, on est comme dans une famille. Il y a beaucoup moins de pression. Aujourd’hui, je suis à Chelsea, c’est très bien, mais on perd deux matches et tout le monde raconte que le coach va partir. A Bolton, on perdait, ce n’était pas si grave. J’étais bien aussi à Fenerbahçe. Jouer les premiers rôles, la Ligue des champions, ça ne me manquait pas. Plus le club est grand, plus tu as d’emmerdes.
Mais tu as quand même replongé à Chelsea, un grand club…
Nicolas Anelka – Je suis un compétiteur. J’ai besoin de me lancer des défis. Et j’avais la chance de replonger dans un grand club, après avoir été longtemps carré à cause de mon soi-disant caractère.
Booba – Justement, c’est quoi ton caractère ? J’entends toujours dire que tu as des problèmes de caractère. Mais je ne vois pas.
Nicolas Anelka – En fait, je n’ai jamais eu de problèmes à l’étranger.
J’ai toujours eu des problèmes en France avec certains coachs.
Booba – Des problèmes, c’est-à-dire ? Tu ne t’entendais pas avec tes coachs ?
Nicolas Anelka – En France, on a toujours eu une image faussée de moi à cause des médias. On ne s’est jamais contenté de me juger sur le terrain. Il y avait toujours un truc hors terrain qui faisait que l’on ne pouvait pas travailler ensemble. Peut-être que des gens racontaient des trucs sur moi. Je ne sais pas. Mais quand tu ne parles pas beaucoup, de toute façon, cela fait peur aux gens, ils fantasment…
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