C’est le rendez-vous annuel des élites planétaires. Pendant cinq jours, grands patrons, politiques et médias sont réunis dans une petite station de ski suisse pour refaire le monde, étoffer leur carnet d’adresses, et accessoirement, faire la teuf. Reportage.
C’est l’effervescence à l’hôtel Grischka. La 43e édition du Forum économique mondial vient de s’ouvrir.
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Félix Marquardt est un peu nerveux. A la tête d’une boîte de communication et de conseil, c’est pourtant un habitué de Forum. Mais ce soir, il organise son premier « Emerging Times Dinner » dans le saint des saints des lieux de pouvoir. Un gros coup. Il a convié du beau monde : le prix Nobel de la paix (et ex-président du Timor-Leste) José Ramos Horta, le président du Panama, la ministre des finances nigérian, l’ancien président du Ghana… Parallèlement à ses représentants de pays émergents, la liste des invités associe habilement hommes et femmes « influents » (directeurs de journaux, conseillers…) et potentiels investisseurs (PDG, banquiers, gérants de fond…). Le principe est limpide : des rencontres, des échanges informels, des prises de contact qui pourront peut-être, par la suite, déboucher sur des contrats.
Mais pour l’instant, l’organisateur du dîner n’a qu’une seule angoisse : le bide. « Quatre tables vides au milieu de la pièce et tout le dîner se casse la gueule », confie un assistant. C’est qu’à Davos, plus on est important, moins on est fiable. Les personnalités les plus demandées se démultiplient en enchainant les invitations, passant 10 minutes par ci, une demi-heure par là.
Mais très vite, Félix Marquardt se rassure. Malgré quelques faux bonds, la salle se remplit. Gâteau sous la cerise, l’arrivée de l’invité principal : Christophe de Margerie, le patron de Total.
Les petits-fours circulent, le champagne coule, tout roule. A Davos – à condition de maîtriser l’anglais – les contacts se font très facilement. On se serre la main, on donne son nom, son statut, sa fonction, on pose quelques questions. Et très vite, on dégaine sa carte de visite.
Davos by day
A la question : « pourquoi venez-vous à Davos ? », la réponse, franche, est presque toujours la même : « networking ». C’est le maître-mot du Davos « off » (celui des soirées privées), assumé sans cynisme par les participants du Forum. Se créer un réseau, l’agrandir, le relancer si besoin. Chercher des opportunités de business pour les entreprises, de développement pour les pays émergents, voire de carrière pour les individus.
Le Davos « on », officiel et dans l’esprit de la devise du Forum depuis sa création (« améliorer le monde »), se déroule plutôt dans la journée. Seuls les heureux possesseurs du badge donnant accès au Centre de conférence peuvent pleinement en profiter. Un sésame précieux, au prix prohibitif (plusieurs dizaines de milliers d’euros), réservé aux multinationales et aux représentants politiques, ainsi qu’à certains médias, chercheurs universitaires, ONG et religieux. Ceux-là peuvent assister aux discours des grands chefs d’Etat et à tout un tas de « sessions » aux thèmes variés. Ces conférences, tenues par des orateurs de haut vol, ambitionnent d’esquisser des solutions aux problèmes économiques et sociaux auxquels le monde actuel est confronté. Les participants assistent aux conférences de leur choix. Mais le soir venu, Davos se transforme. Les participants affluent vers les hôtels. C’est le temps des cocktails.
Le dîner
A l’hôtel Grischka justement, Félix Marquardt se détend. La salle est pleine. Des interventions émaillent le repas. D’abord un improbable slam hong-kongais, un pari de Marquardt pour « briser la glace ». On passe au lourd avec un discours du patron de Total, sa voix grave et sourde, quelques platitudes (« nos vies sont de l’énergie », « la vie c’est l’amitié »…), des blagues efficaces déclamées d’un ton pince-sans-rire et des punchlines qui semblent au final emporter l’auditoire.
On enchaîne avec un discours tonique de la ministre des Finances nigériane sur les pays émergents, l’Afrique et le Nigéria en particulier (« un pays complexe, mais la complexité est stimulante »). Avec une mise en garde remarquée à l’adresse des investisseurs occidentaux : « L’Afrique change, et si vous n’avez pas compris ça, vous resterez en retrait. » Les interventions sont applaudies, le dîner est un succès. Temps de s’amuser. Direction l’hôtel Belvédère, l’un des plus prestigieux de la station. C’est la dernière phase d’une journée classique à Davos : la troisième mi-temps.
Davos by night
Vous trouvez les soirées parisiennes sélect ? Essayez Davos. Ça rigole pas. Détecteurs de métaux style aéroport, vigiles à oreillette par dizaines et liste d’invitations (mais à cette étape, si on se débrouille bien, y a moyen de moyenner). Une fois tous ces obstacles franchis, on peut enfin s’enfiler des cocktails sophistiqués jusqu’à plus soif (ça picole pas mal). Et assister à des scènes « only in Davos », un poil surréalistes, genre Lakshmi Mittal qui se poile devant un orchestre bavarois surmotivé.
On entre alors dans le royaume du « off » : un paradis pour chroniqueur mondain. Tout le monde est un peu bourré. On dénoue la cravate. Certains jouent à chat-bite, c’est bon enfant. Les plus fêtards (ils sont nombreux) se retrouvent au Piano Bar, un mythe du Davos nocturne. Autour du piano, un chanteur obèse ressemblant à Antony and the Johnsons entonne des vieux tubes et se fait taquiner par des clients pompettes. Des prostituées font des propositions. Vers quatre heures du mat’, il est temps de rentrer. Le ciel est plein d’étoiles, la montagne sublime. Le froid suisse dégrise. Tant mieux. Les petit-déjeuner d’affaires et les premières conférences commencent tôt.
Alexandre Comte
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