En entremêlant, dans Fucking in Love, le romantisme de “love” et la brutalité du “fucking”, Justine Pluvinage réalise un autoportrait documentaire de son goût assumé de la sexualité.
Lauréate du Grand Prix de la cinquante-huitième édition du Salon de Montrouge, Justine Pluvinage est l’auteur de multiples courts métrages, dont Catherine (2008), captation fragmentaire d’une prison pour femmes, Tourette et Péroné (2012), fabulation documentaire sur le malaise du couple, et Le Dernier Mot (2009), constitué par les confessions de Virginie, Marylise ou encore Delphine quant à leur expérience de la mort. En un mouvement logique, l’artiste en vient à l’autoportrait et glisse vers la “petite mort”, comme l’écrivait Georges Bataille (Madame Edwarda, 1937). Captation à la première personne de ses errances sexuelles au sein de la Grosse Pomme, Fucking in Love (2014) débute sur une fin, celle d’une liaison conséquente (recouvrant neuf ans de la vie de l’artiste). Il s’agira alors de rechercher au gré des émois à raviver une flamme étouffée par la déception amoureuse, en en capturant les formes – comme celles des parades outrageuses du Défilé des sirènes de Coney Island.
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En concordance avec sa monteuse Aurélie Nolf, la cinéaste structure au fil des jouissances et échanges un puzzle de l’éducation sentimentale moderne, entre aveux sur l’oreiller, soirées arrosées qui précèdent l’acte et ellipses troublantes. Faisant s’épouser le politique et l’onanisme. Pluvinage se décrit comme “une femme traversée de pulsions sexuelles” qui revendique le droit d’“oser vouloir baiser, sucer, vouloir pénétrer, oser aimer la bite, assumer la masturbation, revendiquer le plaisir charnel juste pour lui même”. Ce polyamour militant ou free love (contestation des diktats du mariage et du couple masculin-féminin) appuie le statut de l’artiste en féministe “sex positive”, revendiquant “le droit de faire ce qu’on veut de son corps et de pas forcément le faire par amour. Le flirt est mon postulat féministe”.
Ce libertinage prend la forme d’un leitmotiv musical électrisant et d’images “un peu décadrées, un peu floues”, volées façon gonzo par le biais d’une légère caméra-appareil photo. Si cette spontanéité érotique évoque le phénomène actuel du selfie sexy, il faut plutôt y voir, dixit l’artiste, “un portrait de la relation que je peux entretenir avec autrui, sous la forme d’une visite intérieure, d’une confidence”.
Les draps s’en souviennent
Ce voyage, la diplômée du Fresnoy-Studio national des arts contemporains l’inscrit dans la lignée de Sophie Calle et de son No Sex Last Night (1995), retranscription franco-américaine d’un “je t’aime… moi non plus”, entre exhibitionnisme cru et “do-cul” vérité. La mélancolie de Calle, cette Justine-là, loin des malheurs de la vertu de son homonyme sadien, en fait un hédonisme rieur (elle y exprime, un temps, sa joie de voir la tache qu’a laissée son éjaculation sur les draps de son amant).
Enfin, si elle s’empare du POV (point de vue subjectif), format propre aux vidéos obscènes des tubes, et du voyeurisme de la sextape, Pluvinage rappelle que “le porno est un film qui est destiné à être masturbatoire. Or ce film n’a pas été fait pour se masturber, mais pour penser.” En enlaçant le romantique “making love” et le brutal “fucking”, Justine Pluvinage nous dévoile pourtant, en cette quête de sexe puisque de sens, la proximité entre le performeur porno et la performance.
Clément Arbrun
Fucking in Love documentaire de Justine Pluvinage (Fr., 2014, 1 h 12)
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