Homophobe et raciste, le président du Brésil s’en prend régulièrement aux minorités. Mais la résistance s’organise et les créateurs défendent une liberté chèrement conquise. Enquête.
Des visages lourdement fardés, des peaux enveloppées et ficelées, des corps de toutes tailles, identités ou de tous genres. Non sans rappeler l’artiste Leigh Bowery, les modèles de la dernière campagne de la marque brésilienne Estileras affichent toujours la même volonté : “défier le système dominant”. Tout particulièrement, selon ses fondateurs Ricardo Boni et Brendon Xavier, basés à São Paulo, depuis l’élection du président Jair Bolsonaro, qu’ils accueillent avec “dégoût et colère”.
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Pour eux, la création de vêtements permettra de dépasser la peur et s’affirmera comme un moteur de création révolutionnaire.
28 octobre 2018, une journée à marquer au fer rouge pour la démocratie, les minorités et l’environnement
Le 28 octobre résonne comme la triste date de l’arrivée au pouvoir de cet ancien lieutenant de l’armée brésilienne et membre du Parti social-libéral, le “Trump des tropiques” comme le surnomment les médias. Une journée à marquer au fer rouge pour la démocratie, les minorités et l’environnement, si l’on en juge par l’extrémisme des positions politiques et idéologiques du nouveau président, ouvertement homophobe, raciste et nostalgique de la dictature.
Personnes LGBTQI+, indigènes et Afro-Brésiliens (souvent des descendants d’esclaves) sont victimes des propos d’une violence rare tenus par le président. Bolsonaro ne manque pas de tenir des propos particulièrement rétrogrades. Allant de “si votre fils commence à jouer un peu gay, frappez-le avec du cuir et il changera de comportement”, en 2010, à “je suis un violeur maintenant !? Je ne te violerai jamais, parce que tu ne le mérites pas… salope ! Va pleurer plus loin”, en 2003, ou encore à catégoriser les activistes noirs comme des “animaux devant retourner dans les zoos”…
Le Brésil est le pays qui compte le plus de meurtres sur personnes LGBTQI+ : on en a recensé 420 en 2018, et nul doute que de tels propos ne manqueront pas d’attiser les violences.
Revendications LGBTQI+
Face à un leader qui affirme que “les minorités doivent se soumettre à la majorité”, des figures ouvertement queer s’affichent et affirment leur visibilité. Le créateur Célio Dias n’hésite pas à arborer un T-shirt devenu un énorme succès sur des plateformes comme Amazon ou Etsy, orné du slogan Ele Não (« non, pas lui »).
Le fondateur du label LED invente ce qu’il nomme le bicha power (littéralement le “pouvoir du pédé”) : il revendique une masculinité déconstruite, qui défie les codes de virilité tant chéris par une présidence voulant “mettre les filles en rose et les garçons en bleu”.
“utiliser le corps et la mode pour défier la haine déversée par Bolsonaro” (Célio Dias)
Pour le styliste, il faut “utiliser le corps et la mode pour défier la haine déversée par Bolsonaro”. C’est également ce que pense le designer Alexandre Herchcovitch, un des créateurs brésiliens les plus connus, qui s’est emporté sur Instagram : “Préparez-vous aux pires années de régression. Je suis dégoûté, c’est une perte pour nous tous.” Il n’est pas le seul à regretter un recul des droits LGBTQI+ : des bénévoles (pâtissiers, wedding planners, créateurs) ont offert leur aide à des couples homosexuels, afin que ceux-ci puissent se marier le plus rapidement possible.
Animé d’une même volonté de rébellion, le cabaret Le Circo de La Drag voit le travestissement comme un terrain de performance, de résistance et de dénonciation d’un système totalitaire. Sans oublier le festival TransArte, qui propose un “safe space”, un lieu sécurisé pour exprimer colère et révolte, par le biais de la sexualité.
Etre fier de ses origines africaines
La question du métissage et de la culture afro-descendante apparaît également dans la jeune création. Alors que Bolsonaro n’hésite pas à décrire les membres de la population noire et métisse comme « des bons à rien, même pas bons pour la reproduction », on voit naître une revendication des origines.
La plateforme Turbante.se explore l’identité afro-brésilienne et encourage le port du foulard, souvent stigmatisé par les masses dominantes blanches. Pour sa fondatrice Thaís Muniz, il ne s’agit “pas seulement du look ou de la croyance, mais d’un acte de résistance, un symbole de nos racines”.
“Je fabrique mes vêtements pour les personnes noires qui veulent montrer leur connexion à leur héritage africain.” (Renato Carneiro)
Et le créateur Renato Carneiro, basé à Salvador, revendique la culture noire locale et ses multiples origines, mêlant notes brésiliennes et nigériennes, sénégalaises et béninoises. “Je fabrique mes vêtements pour les personnes noires qui veulent montrer leur connexion à leur héritage africain.”
Quant aux femmes indigènes, nombre de symboles de leur culture apparaissent fièrement brandis lors du dernier festival de Salgueiro. C’est également le théâtre de multiples manifestations politiques. Des danseurs brandissent des drapeaux arc-en-ciel. On y voit même l’acteur noir Ailton Graça déguisé en pape saluant les foules depuis sa papamobile.
Un pas en avant et une solidarité qui mettront en lumière, on l’espère, un Brésil qui célèbre la richesse de sa diversité, un pays plus réjouissant que celui qu’essaie de construire un président rétrograde.
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