Ce mercredi 9 octobre des ressortissants étrangers sans-papiers se sont rassemblés en Ile-de-France pour dénoncer l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous en préfecture et donc de régulariser leur situation. Reportage à la préfecture de Bobigny (93).
Sans-papiers, syndicalistes, associatifs, élus, travailleurs sociaux, hommes et femmes de tous âges… Plus d’une centaine de personnes se sont rassemblées ce mercredi 9 octobre devant la préfecture de Bobigny (93). Toutes ont répondu à l’appel de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), de la Cimade, de la CGT, de Sud et bien d’autres syndicats et associations qui viennent en aide aux migrants. Dans la journée, une cinquantaine de personnes en attente de régularisation avaient déjà déposé des recours en référé contre l’Etat.
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Leur but ? Dénoncer l’impossibilité pour les personnes sans-papiers d’obtenir un rendez-vous en préfecture et ainsi de pouvoir régulariser leur situation.
En cause, la dématérialisation des services de préfecture qui oblige les usagers à prendre rendez-vous sur internet avant de pouvoir se rendre sur place effectuer une démarche. “Dans le cas des demandes de titre de séjour, il y a seulement 9 personnes qui sont reçues par jour à Bobigny, ça fait environ 2000 par an alors que 60.000 sans-papiers vivent en Seine-Saint-Denis. A ce rythme-là, il faudrait attendre 50 ans pour que tout le monde soit régularisé”, s’offusque un responsable de la Coordination 93 de lutte pour les sans-papiers sous le regard interloqué de l’assistance.
En Ile-de-France, plusieurs rassemblements ont eu lieu simultanément à 15 heures, devant les préfectures de Créteil (94), de Nanterre (92) et d’Évry (91), où les ressortissants étrangers sans-papiers sont venus tenter de faire valoir leurs droits.
A Bobigny, peu avant l’heure du rendez-vous, les manifestants commencent à affluer et se rassemblent en petits groupes autour des syndicalistes.
Alors que Madame Chaban, assistante sociale et membre de Sud, nous explique qu’elle accompagne tous les jours dans son travail des mineurs qui ont migré seuls et qui ne parviennent pas à faire régulariser leur situation faute d’obtenir un rendez-vous.
Une dame nous explique spontanément son parcours. “Ça fait plus d’un an que je n’arrive pas à obtenir de rendez-vous sur internet. Quand je suis venue ici, on m’a dit d’aller sur le site mais il y a une seule place par semaine”, se désole-t-elle. Accompagnée de son fils de 5 ans, Nogosiami Karamoko poursuit : “Ça fait neuf ans que je suis là, mon fils est né ici, il va à l’école ici, je n’arrive pas à avoir de rendez-vous et je suis fatiguée, en venant aujourd’hui j’espère que ça va changer.”
Des mois d’attente pour pouvoir déposer un dossier
Un peu plus loin des adhérents à la CGT se pressent autour de Jean-Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale de la CGT de Bobigny.
Ce sont des travailleurs sans-papiers dont la plupart ont participé à la grève organisée par la CGT entamée le 1er octobre pour dénoncer l’exploitation qu’ils subissent dans leur travail.
Ils ont désormais pour la plupart, obtenu le fameux Cerfa – document qui permet de prouver qu’ils travaillent en France – de la part de leur employeur et attendent maintenant de décrocher un rendez-vous en préfecture afin de déposer une demande de titre de séjour. “Quand ils finissent par obtenir le Cerfa – ce qui n’est déjà pas simple -, ils doivent attendre six, huit mois pour pouvoir monter leur dossier, explique Jean-Albert Guidou. Au bout d’un moment le patron considère qu’ils ne font pas les démarches pour être régularisés et finit par embaucher quelqu’un d’autre. Et dans ce cas, le Cerfa n’est plus valide, donc il faut repartir à zéro.”
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Pour le syndicaliste, le problème vient des effectifs trop peu nombreux au sein des préfectures : “Cela fait dix ans que l’on supprime des emplois dans la fonction publique. Et on en ressent les effets, ça crée des goulots d’étranglement et aujourd’hui les sans-papiers sont les cobayes d’une modification de l’accès aux services publics qui va se généraliser à l’ensemble de la population.”
Il termine, expliquant que le “vrai bénéficiaire” de ce système est le patronat qui peut ainsi profiter de l’aubaine d’employer des salariés sans-papiers pour les rémunérer à bas coût, allonger leur temps de travail ou les faire travailler dans des conditions insalubres, dans des chantiers amiantés sans protection, par exemple.
Les jeunes qui se pressent autour du secrétaire général de Bobigny sont impatients de raconter les difficultés qu’ils rencontrent avec l’administration. “Ça fait 13 mois que j’ai un récépissé mais je n’arrive toujours pas à avoir de titre de séjour, pourtant je travaille en France”, lance Konaté Lassana qui travaille pour une entreprise de tri au Bourget. “Moi ça fait neuf ans que je suis en France, je travaille dans le nettoyage. En 2017 j’ai réussi à déposer un dossier mais depuis je suis toujours sans nouvelles”, clame de son côté Gany Baradji.
“Aujourd’hui je n’ai plus de travail”
Les témoignages comme ceux-ci sont nombreux en cet après-midi d’octobre. Alors qu’un militant de la LDH prend la parole au micro pour dénoncer une “politique répressive et restrictive”, les témoignages continuent d’affluer.
“Je vis ici depuis 20 ans et je n’ai toujours pas de titre de séjour, déplore Mazua Salikumu, ancien plongeur dans un restaurant, aujourd’hui je n’ai plus de travail parce que ça fait sept mois que j’essaie d’avoir un rendez-vous pour obtenir mes papiers et toujours rien.” Son voisin, Famara, explique à son tour vivre en France depuis 8 ans. L’an dernier, il est parvenu à monter un dossier afin d’obtenir le titre de séjour, “après six mois sans nouvelle je suis venu voir ce qu’il se passait à la préfecture, ils m’ont dit qu’il fallait attendre, alors je suis allé voir un avocat. Et nous avons finalement appris que mon dossier avait été refusé dès le début mais personne ne m’avait tenu informé !” Depuis, Famara a recommencé les démarches mais maintenant, il n’arrive plus à obtenir de rendez-vous. “Tous les jours, à toute heure j’y vais et il n’y a jamais de place.”
Il est désormais 16h30. Les manifestants se dispersent sur l’esplanade, autour de la préfecture, les rangs diminuent. Ils restent cependant quelques militants, pancartes à la main : “égalité pour les réfugiés” ; “Les préfets se servent du numérique pour bafouer les droits”.
En effet, en proposant trop peu de rendez-vous, le dispositif mis en place par les préfectures empêche un certain nombre de personnes de faire valoir leurs droits – pour obtenir un titre de séjour encore faut-il pouvoir le demander – mais il peut en plus être discriminant à l’égard de personnes qui ont peu de ressources. Il suppose un accès internet, d’avoir un certain niveau de maîtrise dans la lecture et l’écriture du français et de savoir se débrouiller a minima avec le fonctionnement administratif hexagonal puisque les usagers n’ont aucun agent pour les guider. Nombre de conditions qu’il est difficile de remplir lorsque l’on vient d’arriver sur le sol français.
Parmi les quelques-uns qui occupent encore la place, un petit groupe s’est formé. Ils sont travailleurs, tous sans-papiers mais pas prêts à se résigner, l’un d’eux résume la philosophie du rassemblement qui vient de prendre fin : “Nous demandons que l’Etat reconnaisse que nous sommes des travailleurs, pas des criminels, ils doivent reconnaître nos droits.”
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