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Ignorés des podiums parisiens, des stylistes et mannequins africains lancent leur propre Fashion Week. Un événement militant qui se tiendra une semaine après la semaine de la mode parisienne.
Paris, quartier de Pigalle. Des filles et des garçons sublimes s’engouffrent dans le sous-sol d’une boîte de nuit. En bas, assis sur des canapés en skaï bordeaux, ils sont des dizaines à patienter. Grandes lianes au visage adolescent, beaux gosses en quête de notoriété, gamines ultra-lookées… tous sont noirs et tous venus tenter leur chance au casting de la première Black Fashion Week de Paris. Une occasion unique. « Il est très difficile de vivre de ce métier quand on est noir. On ne correspond jamais aux critères. Alors participer à cette semaine de la mode, c’est presque politique », explique Nogi, une Sénégalaise de 23 ans au crane rasé, qui a sacrifié la semaine de la mode de Milan pour ce casting. Pour Cynthia, étudiante en droit à Bordeaux et gagnante du concours Elite Model Afrique Centrale, c’est aussi un moyen de se faire remarquer et de commencer une carrière. Et tant mieux si pour cela, il ne faut défiler que pour des créateurs issus de l’africanité, face à des invités essentiellement issus de l’africanité. « Ça montre qu’on existe », lance la jeune fille.
Communautaire ? « Bien sûr que c’est communautaire, puisque ça répond à un manque ! S’il y avait plus de Noirs dans les défilés et si des créateurs aussi brillants que Iman Ayissi, Tito, Martial Tapolo, Laquan Smith, Thula Sindi, Eli Kuame, Zacometi, pour ne citer qu’eux, avaient accès aux semaines de la mode, on ne ferait pas une manifestation à part », explique la styliste et organisatrice de l’événement, Adama Paris, en buvant un énième jus d’oranges.
« On organise les défilés dans la même salle que Chanel. C’était cher, mais nécessaire »
Depuis son arrivée à Paris, la franco-sénégalaise enchaîne les interviews. « Médiatiser à fond » : la dernière étape d’un parcours du combattant entamé il y a deux ans. Paris, ce n’est pas Dakar, où elle organise la Dakar Fashion Week depuis dix ans. Ce n’est même pas Prague, où elle a lancé l’année dernière une Black Fashion Week « d’essai » particulièrement médiatisée. « En France, c’est compliqué parce qu’il y a histoire commune avec l’Afrique. Ici, même le mot « noir » fait peur. Il renvoie aux colonies, à l’idée de négritude et je ne sais quoi encore. Il faut passer à autre chose ! Les Noirs, ce n’est pas que ça. Ce n’est pas que la guerre et la misère. Il existe une vraie culture noire. On parle bien de musique noire, alors pourquoi ne pas parler de mode noire ? »
Le plus difficile a été de trouver des sponsors capables de financer l’événement à la hauteur de ses ambitions. Pas question de défiler dans un hangar à Saint-Ouen. La styliste, détentrice d’un DESS de sciences économiques, connaît le métier. « Pour être pris au sérieux, on a choisi d’adopter les codes internationaux de la mode. C’est la raison pour laquelle on organise les défilés au pavillon Cambon Capucine, la même salle que Chanel. C’était cher mais nécessaire. Aujourd’hui, les gens sont étonnés de voir qu’on est allé jusqu’au bout. Ils se disent : « Et s’ils étaient sérieux ? » Même L’Oréal, qui a hésité pendant des mois à nous soutenir, est revenu taper à notre porte. Preuve que le marché africain commence à intéresser. »
Echange de bons procédés car, de leur côté, les créateurs africains espèrent se faire repérer dans le reste du monde. Les acheteurs des Galeries Lafayette, du Printemps, de Colette et même de l’américain Macy’s seront aux premiers rangs des défilés. Didier Grumbach, patron du syndicat de la haute couture et du prêt à porter, aussi. Grosse pression ! Car si l’ethnique est à la mode et si les stylistes internationaux viennent depuis belle lurette chercher l’inspiration en Afrique, personne n’ose encore aller du côté des créateurs issus de ce continent. « Les gens préfèrent acheter le wax de Carven ou Burberry à celui qu’on fait depuis quinze ans ! » désespère Adama. « On a besoin de personnes influentes qui disent : allez-y, vous avez le droit, c’est vraiment de la mode », ajoute Zack Zacometi, un styliste haïtien, invité de la Black Fashion Week.
Besoin de publicité ? Besoin de mettre fin aux stéréotypes ? Besoin de financement ? « Il y a encore du boulot », confirme Jean-Paul Cauvin, conseiller éditorial pour le Daily Fashion News. « Mais les créateurs issus de l’africanité doivent eux aussi évoluer pour répondre aux attentes du marché mondial. » A savoir : industrialiser leur production mais aussi faire « plus marketing ». « On a l’habitude en Afrique de travailler de manière spontanée, sans réfléchir aux tendances ni aux attentes des consommateurs. Mais si on veut être crédibles et vendre, on a intérêt à être plus cohérent avec les codes de la mode internationale », reconnait Eli Kuame, styliste libano-ivorien, qui rêve d’obtenir un stage dans une grande maison suite à la semaine de la mode black à Paris. A bon entendeur…
Claire Lefèbvre
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