Nées dans la confidentialité, les cryptomonnaies valent désormais des dizaines de milliards de dollars. En deux ans à peine, l’Ether est devenu numéro 2 sur le marché, une menace pour le précurseur Bitcoin. Entre révolution technologique et spéculation financière, le devenir de ces monnaies virtuelles est incertain.
“Révolutionnaire” : le mot revient souvent pour décrire la blockchain, cette nouvelle technologie derrière les cryptomonnaies à l’instar du Bitcoin. Saisir l’utilité de l’innovation peut relever du parcours du combattant pour les néophytes. Qu’ils se rassurent, les spécialistes non plus ne sont pas certains de savoir où tout cela va nous mener.
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Une chose est sûre : énormément d’espoirs reposent sur les monnaies électroniques. Leur valeur explose depuis le début de l’année. Le Bitcoin, précurseur du phénomène, a longtemps concentré l’attention dans un marché comptant plus de 600 devises. Mais l’Ether, lancé en 2015, connaît une croissance exponentielle qui rappelle les débuts du Bitcoin.
C’est officiel, l’Ether franchit pour la première fois la barre symbolique des 100€ ! Bravo à ceux qui ont gardé leurs ETH depuis 10€ ! ???? pic.twitter.com/23ro4epEwt
— CryptoFR (@CryptoFR) 19 mai 2017
En février 2011, un Bitcoin s’échangeait contre un dollar. Début juin, son cours a dépassé les 3000 dollars. Ceux qui ont hésité à parier sur cette monnaie s’en mordent les doigts aujourd’hui et veulent voir dans l’Ether une réplique de ce succès. Depuis le début de l’année, la valeur de l’Ether a été multipliée par plus de cinquante. Pour les personnes bien inspirées qui ont investi tôt et en masse, la hausse du cours des cryptomonnaies est un véritable ticket de loterie gagnant.
Au départ, le jeune russo-canadien derrière Ethereum, Vitalik Buterin, a conçu son projet comme une mise à jour pour le Bitcoin…recalée par les développeurs de la cryptomonnaie. “Le Bitcoin a plutôt été pensé comme une monnaie alors que le créateur de l’Ether s’est intéressé d’abord à la technologie derrière : la blockchain. Et il a fait en sorte que ce soit le plus facile possible de programmer des services sur l’Ethereum”, retrace Philippe Herlin, économiste et auteur de Apple, Bitcoin, Paypal, Google : la fin des banques ? (Eyrolles).
Qu’est-ce que la blockchain ?
Pour comprendre ce qu’est Ethereum, mieux vaut saisir ce qu’est la blockchain, l’idée qui égaye le milieu de l’innovation depuis quelques années.
Aujourd’hui, nos données bancaires, les contenus des réseaux sociaux ou nos courriels sont stockés dans des serveurs centralisés et gérés par des grands groupes. Cette solution présente des risques : les informations sont regroupées et susceptibles d’être piratées par des hackers, espionnées par des gouvernements ou exploitées par des entreprises sans accord. Autre inconvénient : confier ces données à un tiers est onéreux.
Grâce à la blockchain, le stockage est décentralisé. Au lieu d’être contrôlées par un seul groupe, les données sont disséminées dans un réseau de milliers d’ordinateurs particuliers et chaque “nœud” du réseau valide les opérations effectuées. Une technologie qui se veut donc anonyme et ultra-sécurisée. Ethereum parle d’un “world computer” : un modèle horizontal qui se veut plus démocratique, transparent et économe.
Des grandes entreprises séduites
La blockchain d’Ethereum a réussi à se démarquer de celle du Bitcoin grâce aux “smart contracts”. Les développeurs peuvent utiliser Ethereum pour créer un programme informatique exécutant automatiquement les termes d’un contrat lorsque certaines conditions sont remplies.
L’intérêt de grandes entreprises pour cette technologie encourage sans doute la croissance exponentielle de l’Ether. En février, plusieurs groupes informatiques et financiers ont fondé l’Enterprise Ethereum Alliance pour étudier les applications possibles d’Ethereum. Aujourd’hui l’alliance compte notamment Toyota, Samsung ou Microsoft.
«Très utilisé par les entreprises, l’Ether connaît un succès considérable » @Bloch_R Oui mais sous forme de copies!https://t.co/1ZU8wPvzk1
— Jacques Favier (@jfavier92300) 19 juin 2017
Un soutien à relativiser puisque ces entreprises utilisent souvent une imitation d’Ethereum pour tester sa rentabilité. La grande question pour les investisseurs est de savoir si oui ou non elles basculeront ensuite vers le réseau principal. Jacques Favier, co-auteur de Bitcoin, la monnaie acéphale (CNRS Éditions), explique : “On peut copier le logiciel mais moins de gens le feront fonctionner et sa valeur de marché risque d’être limitée. Si demain ces entreprises s’aperçoivent que leur logiciel marche bien techniquement mais qu’il est très hackable parce qu’il n’a pas autant de nœuds qu’Ethereum, ils peuvent décider de revenir sur la chaîne principale”.
Adli Takkal Bataille, spécialiste des outils numériques, tempère également le succès d’Ether avec une possible riposte du Bitcoin :
“Le projet Rootstock peut faire de l’ombre à Ethereum : il permettrait de mettre des smart contracts complexes de type Ethereum sans attaquer la chaîne centrale de Bitcoin. S’il marche bien il y a beaucoup moins de raisons d’utiliser Ethereum car il n’y a plus besoin de passer par un tiers. »
Une bulle spéculative autour de la blockchain
Les start-ups aussi s’intéressent de plus en plus à l’Ether. Il s’agit des fameuses ICO (Initial Coin Offerings) qui réussissent à lever l’équivalent de millions de dollars en cryptomonnaies et ce en des temps records. En juin, le projet de Brendan Eich, ancien directeur général de Mozilla, a reçu 35 millions de dollars en moins d’une minute. “C’est révolutionnaire, explique Philippe Rodriguez, auteur de La Révolution Blockchain (Dunod). Je ne connais pas d’autre endroit dans le monde où on peut lever autant. Il y a un engouement pour les opérations dérégulées, où c’est plus facile d’investir.”
Une startup israélienne (blockchain) sans business lève 153M$ en quelques heures dans une ICO. Non, non, rien. #blockchain https://t.co/f43DFlbgZO
— Philippe Rodriguez (@philrod) 20 juin 2017
Les cours explosent, une multitude de start-ups s’emparent de la nouvelle technologie et les investissements pleuvent : une excitation qui rappelle à beaucoup la bulle internet des années 2000. Antoine Ferron a participé à la création d’un portefeuille électronique sécurisé pour le Bitcoin, il pense qu’“aucune application concrète et d’envergure n’est déployée” pour l’instant à partir d’Ethereum. Il ne se voile pas la face sur le risque d’une bulle spéculative :
“Même les ‘crypto-traders’ sont unanimes : cette bulle irrationnelle va exploser mais personne ne peut prédire quand exactement. Il y aura un assainissement et ce sera positif pour dépasser tout cet effet de mode actuel qui génère trop d’emballement. Les projets sérieux resteront, comme c’était le cas pour le web. Ce ne sera pas la fin de ceux qui sont en place depuis des années. Il faut croire en la révolution technologique.”
Les créateurs d’Ethereum refusaient de voir l’Ether devenir une monnaie de spéculation comme le Bitcoin. Un projet mis à mal aujourd’hui comme l’observe Adli Takkal Bataille: “Les ICOs et la montée du cours ont fait venir beaucoup de nouveaux entrants. Le jour où il n’y en aura plus, il peut y avoir une baisse du cours de l’Ether avec des gens qui veulent prendre leur profit. S’il y a une grosse vente, ça peut entraîner une réaction en chaîne…”
Que vont devenir les cryptomonnaies ?
Le Bitcoin et l’Ether sont souvent mis en concurrence mais les deux cryptomonnaies pourraient bien coexister à l’avenir si leur technologie se différencie. De la même manière, elles pourraient prendre de plus en plus de poids par rapport au dollar et à l’euro.
Non contrôlées par les autorités financières ou les états, ces monnaies présentent des avantages. Philippe Herlin prend l’exemple du Nigeria où l’usage du Bitcoin est de plus en plus banalisé :
“C’est difficile à comprendre pour nous mais avoir une monnaie stable est un privilège. Dans la plupart des pays, les monnaies connaissent des à-coups, notamment ceux qui dépendent des matières premières. Au Nigeria, quand le cours du pétrole passe de 100 dollars à 50 la monnaie s’effondre aussi, ce qui pose beaucoup de problèmes pour les commerces. Le Bitcoin permet de passer à travers. Ça peut être une monnaie de salut pour les pays qui connaissent beaucoup d’inflation. »
Les cryptomonnaies sont toutefois peu susceptibles de remplacer les espèces dans les années à venir comme le fait remarquer Adli Takkal Bataille : « Pour dépenser les Bitcoins, il faut de l’électricité, de la batterie et du réseau. Toute la planète n’est pas couverte de réseau, c’est un problème qui peut susciter plus tard l’usage d’argent en cash. » Un problème qu’adresse déjà Facebook. Le réseau social travaille au déploiement de satellites pour répandre Internet et conquérir de nouveaux utilisateurs.
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