Monnaie virtuelle déconnectée de tout Etat et totalement décentralisée, le Bitcoin agite aussi bien les mafias que les économistes. Une course a été lancée pour retrouver son créateur, l’énigmatique Satoshi Nakamoto. Par le passé, plusieurs hypothèses quant à son identité réelle ont été avancées, toutes se sont révélées erronées. Aujourd’hui, un Australien prétend être derrière cette invention qui pourrait révolutionner l’économie. Une hypothèse crédible ?
C’est le genre d’histoire que l’on croirait tirée d’un film. Le scénario est digne des meilleurs romans d’espionnage de John le Carré. Des rebondissements à la pelle, des secrets industriels, des fuites d’information et des manipulations, tout y est. Le Bitcoin, créé en 2009, a su créer autour de lui une excitation folle. Monnaie numérique cryptographique, elle est la source d’un grand nombre de fantasmes, le carburant de nombreux cercles criminels mais est aussi parfois présentée comme une alternative aux devises réelles.
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A l’origine du Bitcoin, le mystérieux Satoshi Nakamoto. Il est d’ailleurs unanimement admis que ce nom n’est qu’un pseudonyme utilisé par une ou plusieurs personnes. De nombreuses journalistes, experts en sécurité informatiques, hackers ont tenté de déterminer l’identité de cet (ou ces) individu(s). Il est certain que ce mystère n’intéresserait personne si le Bitcoin n’avait pas attiré l’attention des médias, des autorités, des criminels ou encore des économistes. Comme si savoir qui se cache derrière Nakamoto permettait de répondre à toutes les interrogations entourant la monnaie, les utilisations qui en sont faites et son but initial. Par le passé, la « véritable » identité de Satoshi Nakamoto a déjà été révélée à plusieurs reprises, même si au final, les pistes avancées se sont avérées peu sérieuses.
Satoshi Nakamoto, un australien ?
Il se pourrait que le secret soit enfin levé, du moins en partie. « Je vais signer devant vous un mail avec la clé publique généralement associée avec la première transaction en Bitcoin« , explique Craig Steven Wright, un entrepreneur australien de 45 ans, face aux caméra de la BBC. « Vous allez aujourd’hui nous prouver que vous êtes Satoshi Nakamoto ? » lui demande le journaliste, ce à quoi Craig Wright répond par l’affirmative. Mais pourquoi faire cette révélation maintenant ? « Je ne l’ai pas décidé, des gens l’ont fait pour moi, et ça rend ma vie très compliquée » explique-t-il. « Je n’ai pas envie [que ma famille, mes amis, mes employés] soient touchés par tout ça. »
Craig Wright fait très certainement référence à plusieurs enquêtes qui lui ont attribué la paternité de la devise. En décembre 2015, les sites Wired et Gizmodo publient des articles expliquant que l’identité du créateur de la monnaie numérique ne faisait plus aucun doute. Sur la foi de documents qui leur ont été communiqués séparément par une même source anonyme, les deux sites pointent une même personne : Craig Steven Wright, 44 ans à l’époque, un inconnu. Il semble alors que ces documents aient été volés par des personnes qui se sont introduites sur l’ordinateur de l’Australien. On y trouve des copies d’échanges par mail ainsi que l’utilisation de certains éléments d’identification qui semblent alors être suffisamment crédibles pour affirmer que Craig Wraight est bien derrière Satoshi Nakamoto.
Inconnu, il ne l’est en réalité pas tout à fait, puis qu’il est considéré comme un expert de tout ce qui touche aux Bitcoins. Il a même été invité à s’exprimer sur le sujet à une conférence, comme l’explique Wired, et a écrit sur le sujet à de nombreuses reprises. Mais il n’a, pour beaucoup, pas le profil du suspect idéal, malgré ses diplômes et son expertise.
Des doutes à propos de Craig Wright
Très rapidement, le doute s’installe. Des incohérences apparaissent dans les fichiers transmis aux journalistes. Certaines preuves semblent avoir été fabriquées, d’autres modifiées pour coller à une certaine réalité. Le lendemain des révélations, le site Motherboard s’est basé sur l’analyse de plusieurs des éléments avancés afin d’expliquer qu’il s’agit d’un hoax et d’une manipulation. Une conclusion qui n’avait pas été écartée par Wired, évoquant la possibilité que ce soit Craig Wright lui-même qui soit la source des documents. « Si Wright cherche à falsifier sa connexion à Satoshi Nakamoto, son canular est presque aussi ambitieux que l’invention même du Bitcoin« , notait alors le site du magazine.
Selon l’article publié aujourd’hui par The Economist, Craig Wright aurait réussi à prouver sur certains points, par différentes manipulations et l’utilisations d’éléments d’authentifications que seul Satoshi Nakamoto pourrait connaître, qu’il peut bien être l’inventeur du Bitcoin. L’Australien apporte aussi des réponses à toutes les accusations de falsification ou de manipulation. Qu’elles portent sur les clés utilisées pour crypter ses messages ou sur les accusations de fraude fiscales faites à son encontre par le fisc australien peu après les révélations en décembre, l’entrepreneur ne se laisse pas démonter. D’importants doutes subsistent cependant. Que ce soit la personnalité même de Wright ou sur les raisons qui le pousserait à sortir de son silence aujourd’hui, certaines choses ne cadrent pas ou semblent bien opportunistes.
Un tour de magie à destinations de non-experts
Des voix se sont élevées sur Twitter pour expliquer que les détails donnés par Craig Wright tiennent plus de la mystification que de la preuve parfaite. Patrick McKenzie, PDG d’une société spécialisée dans développement de logiciels, met avant différentes raisons qui le font douter. « J’imagine que Wright a usé de tactiques de magiciens pour distraire les équipes de la BBC et de The Economist pendant une démonstration de ses talents » explique-t-il. « Je suis quasiment certain que j’aurais pu raconter la même histoire avec approximativement deux heures de préparations. » Au delà de ça, le développeur, explique que rien de très compliqué n’a été demandé à Craig Wright.
Wrote up my attempt to verify Wright's claim, with code sample: https://t.co/38mOlVmLtI Spoiler: hokum and flimflam. Not even blogging it.
— Patrick McKenzie (@patio11) May 2, 2016
Il faut aussi se rendre compte que cette révélation intervient alors que le Bitcoin est sujet à de multiples débats dans la sphère des experts qui s’occupent de son fonctionnement. Comme le rapporte The Economist, certaines personnalités comme Gavin Andresen, principal codeur des logiciels qui permet de gérer la devise virtuelle (en plus d’être persuadé que que Wright est bien Nakamoto), souhaitent revoir radicalement le fonctionnement même du Bitcoin, le mettant au service de banques et de grandes compagnies. Et il se trouve que Craig Wright va dans la même direction.
Une problématique compliquée à démêler
Ainsi si la conclusion offerte par les révélations de Craig Wright semble séduisante et satisfaisante, il ne faut pas perdre de vue que cette énigme est l’objet de trop nombreuses passions. Il est peu probable qu’une personne qui prétende être Satoshi Nakamoto puisse être adoubée par l’ensemble de la communauté des experts en crypto-monnaie.
A l’inverse, les explications de Craig Wright ressemblent pour le moment un peu trop à une réécriture maladroite du twist final de Usual Suspects, avec des preuves qui semblent parfois n’être au mieux que circonstancielles. Le mystère est donc loin d’être totalement résolu et il y a fort à parier que cette affaire connaisse de nouveau d’autres rebondissements.
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