Avec la crise écologique, nous devons changer nos modes de vie et, selon le journaliste et écrivain Hervé Kempf, accompagner le passage du néolithique au “biolithique” : moins de biens pour plus de liens.
L’échec de la conférence sur le climat à Doha, début décembre, a rappelé combien la question écologique bute sur un principe de réalité : le refus d’une majorité d’États de s’engager durablement dans des politiques de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Malgré les expertises scientifiques, malgré les récents effets du changement climatique – ouragan Sandy, typhon Bopha aux Philippines, sécheresse aux États-Unis… –, la communauté internationale s’enferre dans ses égoïsmes nationaux. Or, comme le soulignait en novembre un rapport de la Banque mondiale, le réchauffement climatique constant pourrait déclencher “une cascade de changements cataclysmiques” (fonte du manteau glaciaire du Groenland, réduction de la banquise arctique…).
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Attentif à ces périls depuis une vingtaine d’années, Hervé Kempf inscrit ces enjeux écologiques au coeur de son travail de journaliste (pour Le Monde et le site reporterre.net) et d’auteur d’essais remarqués, entre agit-prop, enquête et réflexion politique (Comment les riches détruisent la planète, 2 007 ; Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, 2 009 ; L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie, 2011). Avec son nouveau livre, Fin de l’Occident, naissance du monde, il élargit ce travail d’éveil des consciences aux périls écologiques. Moins apocalyptique que programmatique, sa réflexion invite à un changement de paradigme dans la façon de définir nos politiques économiques. Après avoir longtemps profité du desserrement de la contrainte énergétique, l’Occident doit se conformer à des astreintes nouvelles : l’épuisement des ressources les plus accessibles, et leur prix élevé. L’énergie à prix bas, c’est fini, soulignait une étude du FMI, qui table sur un doublement des prix du pétrole durant la décennie 2010-2020.
Partant de ce constat que seuls quelques climatosceptiques ne partagent pas, Hervé Kempf affirme que nous vivons “la fin d’un monde”, dominé depuis la révolution industrielle par l’Occident. Après avoir transformé le monde en le faisant sortir du néolithique, l’Occident a perdu sa suprématie. L’économie mondiale étant entrée pour plusieurs décennies dans une ère d’énergie coûteuse, le “constituant crucial d’une croissance élevée” a définitivement disparu du paysage. La contrainte durable d’un prix de l’énergie élevé associé au poids de la dégradation écologique va ralentir, voire stopper la croissance économique du monde, celle des pays riches comme celle des pays pauvres. Cette “grande convergence” signifie que le niveau mondial de consommation matérielle moyenne doit désormais se situer au-dessous de celui des Occidentaux. “La question majeure qui détermine l’avenir n’est plus la place de l’Occident ou de toute autre puissance, mais celle-ci : quel peut être le niveau moyen de consommation matérielle des quelque 9 milliards d’habitants que pourrait compter la planète en 2050 ?”, se demande-t-il.
Plutôt que de dépenser tant d’énergie à découvrir de nouvelles ressources énergétiques, “la priorité devrait être d’apprendre à en consommer le moins possible”. Pour rompre avec l’idée que le progrès de l’émancipation humaine s’accompagne du progrès des conditions matérielles, il faudra accomplir une mutation radicale, ce que l’auteur appelle “le passage du néolithique au biolithique”. La période géologique dans laquelle s’est déroulé le néolithique était l’holocène, un temps de stabilité climatique favorable au développement de l’agriculture ; nous sommes désormais entrés dans une nouvelle période, appelée anthropocène. “Il ne s’agit plus de répartir l’abondance, l’enrichissement sans fin promis par la croissance, mais d’organiser la sobriété”, estime-t-il.
Cette aspiration à la sobriété, déjà explorée par des auteurs comme Pierre Rabhi (Vers la sobriété heureuse), forme le coeur du livre. “Il s’agit de tourner la page de la révolution néolithique – cette exploitation efficace des ressources mais insouciante des régulations de la biosphère –, d’accomplir la révolution industrielle pour nous engager dans l’ère biolithique où l’espèce humaine prospérera en accord avec les autres espèces vivantes de la planète.” Si elle faisait enfin l’objet d’une prise de conscience raisonnée de la part des gouvernants, cette nouvelle politique de la sobriété s’ordonnerait selon trois axes essentiels : reprendre la maîtrise du système financier, réduire les inégalités, écologiser l’économie. Dans ce cadre, l’Europe a une carte à jouer : sa chance est de consommer relativement peu d’énergie (deux fois moins par habitant que les États-Unis) et de ne quasiment plus disposer de réserves d’énergie fossile. Elle se doit donc d’adopter une politique vigoureuse d’économie d’énergie, “autrement dit de cultiver les valeurs de sobriété et d’efficacité qui seront les qualités économiques de l’avenir”.
À la fois sage et révolté, Hervé Kempf nous rappelle qu’un nouveau monde a commencé mais que nous n’en avons pas encore pris suffisamment la mesure. Reliant entre eux tous les enjeux sociaux et écologiques qui nourrissent les tensions géopolitiques, il invite à modifier la répartition des revenus et de la richesse collective, autant qu’à transformer nos modes de consommation et de production. Nous n’avons pas d’autre choix que de maîtriser dans un même geste politique l’équité et les équilibres écologiques et biosphériques. Saurons-nous accepter l’avènement du biolithique, c’est-à-dire réinventer un monde en accord avec les rythmes du vivant et les ressources de la Terre ?
Fin de l’Occident, naissance du monde (Seuil), 156 pages, 15 €
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