La chasse au scoop, qui a toujours animé la vie des médias, se transforme en « chasse au coup ». Par-delà la quête de l’information inédite, les rédactions sont tenues de faire des coups, dans le dos des éditeurs, des concurrents et des kiosques, pour attirer les regards, faire la nique aux autres, briser l’ordre chronométrique du […]
La chasse au scoop, qui a toujours animé la vie des médias, se transforme en « chasse au coup ». Par-delà la quête de l’information inédite, les rédactions sont tenues de faire des coups, dans le dos des éditeurs, des concurrents et des kiosques, pour attirer les regards, faire la nique aux autres, briser l’ordre chronométrique du monde. Peu importe le message pourvu qu’on soit le premier à l’émettre. Peu importe le vide de son contenu pourvu qu’il remplisse les gazettes.
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Dernier exemple : le coup du Nouvel Observateur grillant la politesse au Point qui avait pourtant négocié l’exclusivité avec l’éditeur des bonnes feuilles du tome 2 des mémoires de Chirac. L’affaire a fait l’effet d’une petite bombe dans le microcosme journalistique : comment Le Nouvel Obs a-t-il pu se procurer le livre sans l’accord de l’éditeur ? Comment a-t-il osé ne pas respecter les règles que mêmes les voyous de la presse doivent respecter ?
Mais qui peut croire, en dehors des journalistes politiques, que les lecteurs trépignaient à l’idée de lire Chirac, au point de ne pas supporter l’attente un jour de plus ? Les médias sont devenus mabouls avec leur obsession de jouer le coup d’avance, comme si la nature de l’information se diluait dans son tempo.
Lorsque Olivier Mazerolle révéla sur BFM TV la nomination du dernier gouvernement dix minutes avant l’annonce officielle, toute la profession salua sa performance. La belle affaire : à quoi servirent ces dix minutes ? L’accélération du temps, théorisé par le sociologue Hartmut Rosa, a contaminé l’espace journalistique. L’exclusivité, cet horizon absolu des journalistes, ne se réduit plus au fond d’une nouvelle, mais au rythme dans lequel elle se déploie. Cela ne sert à rien, mais cela suffit à se croire important.
Jean-Marie Durand
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