Quinze ans après son dernier mandat, Bill Clinton fait toujours partie du trio des anciens présidents les plus populaires aux Etats-Unis, derrière deux mythes : John Fitzgerald Kennedy et Ronald Reagan. Alors que l’ancien gouverneur de l’Arkansas refait surface au côté de son épouse Hillary Clinton, qui représentera les démocrates à la présidentielle de 2017, il a réussi à ne jamais vraiment quitter le quotidien des citoyens américains.
Juin 1992. Un jeune candidat démocrate à la présidentielle participe au Arsenio Hall Show, un late show populaire dans les années 90, et interprète au saxophone Heartbreak Hotel d’Elvis Presley et God Bless The Child de Billie Holiday. Avec sa cravate jaune canari et et ses Ray-Ban Wayfarers, il détonne et crée une nouvelle manière de faire campagne en politique. Ce candidat ? Ce n’est autre que Bill Clinton, alors âgé de 46 ans et gouverneur de l’Arkansas.
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Son style novateur va le suivre pendant ses deux mandats, et lui assurer une popularité démesurée. Encore aujourd’hui, il reste l’un des anciens présidents préférés des Américains, comme le souligne un sondage de YouGov de janvier 2016. Avec 53% d’opinions positives, contre 41% d’opinions négatives, il fait mieux que les Bush père et fils, qu’Obama, et se retrouve juste derrière les deux légendes John Fitzgerald Kennedy et Ronald Reagan. Avec Hillary Clinton, qui dans la course à la présidentielle pourrait bénéficier du capital sympathie de son mari, on peut se demander comment ce dernier a fait pour gagner le coeur des Américains, malgré quelques faux-pas, comme celui de l’affaire Lewinsky.
Un jeune président progressiste
Si Bill Clinton jouit d’une popularité aussi importante aujourd’hui, il le doit d’abord à sa personnalité, qui fait de lui un président avenant et apprécié des électeurs. Ainsi, selon Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’université de Paris II Assas, spécialiste de la société et de la politique américaine, qui a récemment publié Hillary, une présidente des Etats-Unis :
« Quand Bill Clinton arrive au pouvoir, il représente surtout un changement de génération : il est le premier président de la génération des baby-boomers. Il est jeune, souriant, sympathique, abordable, on a l’impression qu’il pourrait être notre ami, qu’on pourrait lui taper sur l’épaule, ce qui est un atout pour les hommes politiques. A l’époque, c’est un gros choc d’avoir un président de ce type-là. »
Outre sa personnalité détonnante dans le paysage politique, Clinton est aussi un président extrêmement progressiste, qui va permettre aux minorités de gagner en droit et en visibilité. Il a ainsi toujours été engagé dans l’avancée du droit des femmes, à une époque où ce n’était pas évident, en abolissant par exemple une série de mesures contre l’avortement. L’ancien gouverneur de l’Arkansas arrive aussi au pouvoir avec le slogan « Deux pour le prix d’un » (« By one get two »), donnant une place particulière à sa femme Hillary Clinton, loin des rôles généralement plus en retrait des anciennes First Lady.
Il se démarque également par sa politique en faveur des Afro-américains (en nommant quatre Secrétaires d’Etat afro-américains) et des personnes LGBT. Il a notamment fait passer la directive « Don’t ask, don’t tell » (abolie en 2010), qui même si elle peut apparaître comme discriminante, était une sorte de compromis qui a permis aux homosexuels et aux bisexuels de pouvoir servir dans l’armée, mais en cachant leur véritable sexualité. Le fait que le natif de l’Arkansas reste dans la mémoire collective comme « le premier président Noir » (« the first black president »), n’est pas anodin, même si l’auteure de la formule, l’écrivaine noire Toni Morrison, a récemment indiqué que sa phrase avait été mal-interprétée. Elle voulait simplement signifier que Clinton avait était traité de la même manière qu’un « noir dans la rue » aux Etats-Unis, lors de l’affaire Lewinsky.
Un artisan de la prospérité économique et de la paix
La popularité de Bill Clinton semble aussi se nourrir d’un sentiment de nostalgie de la part des citoyens américains, qui voient dans ses deux mandats de 1993 à 2001, une période de prospérité économique inégalée, avec notamment un taux de chômage très bas de 4%, un taux de pauvreté en régression, et la création de 22 millions d’emplois. A cette prospérité économie s’ajoute également une période de paix, comme le souligne Nicole Bacharan, politologue spécialiste de la société américaine et des relations franco-américaines :
« Il existe une nostalgie de l’époque Clinton car c’était une période de paix pour les Etats-Unis, une espèce de parenthèse enchantée: les Etats-Unis avaient gagné la Guerre Froide, et le terrorisme n’avait pas encore une grande ampleur. »
Le 42e président des Etats-Unis est ainsi connu pour être un artisan de la paix, voulant éviter, le plus souvent possible, d’envoyer l’armée en permanence et de faire couler le sang. Il reste notamment le médiateur qui a essayé de rétablir le dialogue entre Israël et la Palestine. Il supervise des négociations secrètes entre le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, et le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, menant à la signature des accords d’Oslo en 1993, une déclaration historique de paix.
Le vieux sage du parti démocrate
A la fin de ses deux mandats, en 2001, 65% des Américains approuvent généralement les actions de Bill Clinton en tant que président mais seulement 41% apprécient sa personne et 39% le jugent honnête et digne de confiance. Ce rejet du natif de l’Arkansas peut s’expliquer par l’affaire Lewinsky, en août 1998, dans laquelle il est accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec Monica Lewinsky, stagiaire de 22 ans à la Maison-Blanche. Ce scandale entache son deuxième mandat, et sera suivi en décembre de la même année, par une procédure d’impeachment (destitution) de la part de la Chambre des représentants aux Etats-Unis, visant à le faire quitter son poste de président.
Si l’histoire n’affecte plus aujourd’hui sa popularité, c’est que selon Jean-Eric Branaa, « le sordide s’oublie ». Il ajoute :
« Ce que l’on retient de Bill Clinton c’est qu’il ne s’est jamais défilé. Il a toujours été là. On ne le pensait pas capable d’être un président tout court, mais on s’est aperçu qu’il a été un grand président. Il n’a pas simplement accompagné la prospérité, il l’a favorisée, et il a également accompagné la société et les transformations dont elle avait besoin à ce moment-là, en s’occupant des plus vulnérables et des plus fragiles. »
Bill Clinton a réussi à regagner la sympathie des Américains en étant toujours présent dans la société, notamment à travers la Fondation Clinton, créée en 1997. Les thèmes de prédilection de la fondation reflètent les thèmes pour lesquels s’est battu Bill Clinton durant sa présidence : la santé, l’éducation, le droit des femmes et l’écologie. Un moment fort, qui a cristallisé sa popularité, est notamment lorsqu’il a levé des fonds après le séisme à Haïti en 2010, au côté de George W. Bush, comme le précise Nicole Bacharan : « Les Américains ont adoré ce moment car il représentait deux hommes capables d’aller au-delà de leur blessure personnelle. Bill Clinton a fait preuve d’une très grande classe. »
L’ancien président de 69 ans est désormais perçu comme le « vieux sage du parti démocrate », selon Nicole Bacharan, notamment lorsqu’il aide Barack Obama à se faire réélire en 2012. Sa popularité, qui n’est plus à démontrer dans son camp, déborde légèrement du côté des Républicains. Ces derniers reconnaissent la période de prospérité économique lors de sa présidence, mais ne le détestent plus vraiment car « il ne représente plus une menace pour le camp adversaire comme il ne peut plus se représenter », ajoute avec humour la politologue.
La popularité de Bill Clinton, un atout pour sa femme ?
Depuis janvier, Bill Clinton met sa popularité au service d’Hillary Clinton en participant à de multiples meetings en faveur de sa femme. Jean-Eric Branaa confirme qu’il peut lui être d’une grande aide « dans le Sud pour lui ramener quelques voix, notamment en Virginie, en Caroline du Nord et en Floride, trois swing-states [un état américain qui dans le contexte de l’élection présidentielle n’est pas acquis à un camp en particulier, ndlr] ». Il ajoute cependant qu’Hillary Clinton « est construite par elle même » et « qu’elle s’est déjà construite seule au moment où Bill Clinton était Président », sous-entendant que la candidate démocrate n’aura pas besoin de lui pour potentiellement gagner l’élection présidentielle.
Censé être au second plan, l’ancien gouverneur de l’Arkansas a pourtant commis une grave faute politique en rencontrant la ministre de la justice Loretta Lynch, le 27 juin. La rencontre a permis à Donald Trump de critiquer encore une fois sa rivale à la présidentielle, en se servant de son mari, comme il l’avait fait déjà fait dans une vidéo Instagram. C’est par ailleurs un nouvel angle d’attaque de la stratégie du milliardaire américain, comme l’a remarqué le Washington Post.
Et même si Bill Clinton arrive à contrôle sa nature impulsive, et à ne pas trop mettre sa femme dans l’embarras, sa popularité peut en partie poser problème à l’ancienne First Lady. Car dans l’imaginaire collectif, Bill Clinton reste quelqu’un d’avenant, sympathique, souriant, des traits de personnalité qui peuvent alors faire ressortir, comme avec un miroir déformant, le sérieux, la rigidité et la froideur d’Hillary Clinton. Un sketch du Saturday Night Live exploite avec finesse et humour cette opposition entre les deux époux, qui pourrait ainsi être défavorable à la représentante des démocrates. Bill Clinton, un ancien président trop populaire ?
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