Comment deux potes, même pas italiens, ont réussi à chambouler la restauration italienne en montant Big Mamma, devenant l’un des plus gros groupes économiques de la capitale. Une success story mais surtout une histoire de passion.
Il y a encore trois ans, la gastronomie italienne coulait un long fleuve tranquille à Paris. Depuis l’arrivée au printemps 2015 de la déferlante Big Mamma, groupe français de restaurants italiens, sur le marché, c’est l’ensemble de la restauration parisienne qui est chamboulée. A mi chemin entre effroi et fascination. Comment deux potes d’HEC, ni italiens, ni du sérail ont réussi à monter un véritable empire en seulement deux ans ? Comment un simple projet de crêperie est devenu l’un des plus gros groupes économiques de la capitale ?
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Le rendez-vous est fixé à midi, chez Pizzeria Popolare, le dernier-né de la famille, déjà sucessfull et pour lequel les gens font la queue dans la rue sur parfois plus de 50 mètres, midi et soir. « C’est quand même plus sympa de faire l’interview à table, non ? » lance Victor Lugger, 32 ans, lunettes rondes ajustées et look de gendre idéal mais cool. Avec son associé, Tigrane Seydoux, même âge, même genre, ils sont les pilgrim fathers du projet Big Mamma qui réunit aujourd’hui 5 restaurants italiens aux quatre coins de la capitale (bientôt un sixième ce mois-ci, Pink Mamma) et qui emploie plus de 400 employés.
Impossible d’avoir une réponse transparente et précise lorsque l’on pose la question du chiffre d’affaires annuel mais le jeune PDG propose quand même une piste : « Sachant que le ticket moyen chez nous est autour de 25 euros et que l’on fait entre 500 et 1000 couverts chaque jour, on est facile à 4 millions de chiffre d’affaires à l’année ».
Business or not business ?
Quasi impossible après cette annonce de ne pas tomber dans le cliché facile qui revient à assimiler le groupe à une entreprise capitaliste sans âme. Et pourtant, il semblerait que l’aventure Big Mamma soit d’abord une histoire d’amitié entre deux passionnés. « Le point de départ de tout ça, c’est notre rencontre avec Tigrane sur les bancs de l’école. Moi j’étais obnubilé par la bouffe et lui son truc c’était l’hospitalité. On s’est dit qu’en réunissant ces deux obsessions on allait monter une affaire ».
Aucun des deux n’est italien, aucun des deux n’est issu du monde de la restauration. Mais les deux, fraîchement diplômés d’HEC, se lancent les yeux fermés dans un projet de crêperie. « Notre idée c’était de monter une sorte d’Amorino de la crêpe ». Au bout de 3 semaines, le projet est abandonné. Motif : objectif de départ erroné. « On s’est très vite dit qu’il ne servait à rien de faire de la restauration simplement parce que c’est financièrement intéressant. Le vrai moteur d’un projet qui marche ce n’est pas l’argent mais la passion ».
Au-delà du vendeur de rêve qui parle de son entreprise, Lugger est indéniablement mordu de culture et de gastronomie italiennes . Le trentenaire connaît la Botte comme sa poche, y passe minimum un jour par semaine et parle l’italien parfaitement. Lorsqu’on tente de le déstabiliser en lui demandant pourquoi il continue d’ouvrir des restaurants et faire gonfler la machine Big Mamma si son seul moteur c’est la passion et non le business, il répond par une pirouette. « Ce que vous vous appelez business, moi j’appelle ça passion ».
Serial entrepreneurs ?
A l’écouter on pourrait presque croire que les bénéfices économiques de la boîte ne rentrent pas en considération. Il explique : « Ici, chez Pizzeria Popolare par exemple, on fait des glaces parce que le pâtissier que l’on a recruté est fan de glaces. On a adoré ce qu’il nous a fait goûter et on a dit banco alors qu’au début on ne pensait pas du tout faire des glaces ! ». Il ajoute : « Et comme, on ne va pas se mentir, le business marche bien, ça nous laisse du temps pour laisser sa chance au produit comme on dit et plancher sur de nouvelles idées, de nouveaux concepts tous les jours ». A la formule « serial entrepreneur », il préfère celle d’ « entrepreneur-restaurateur ». Traduction: « on est entrepreneurs parce que l‘on développe la boite comme une start-up mais on est surtout restaurateurs : chaque détail de chaque restaurant compte, de la propreté des couteaux jusqu’à l’accueil des clients en passant par le croustillant de la pâte à pizza ».
Impossible is nothing
Tout paraît simple lorsque Lugger raconte l’histoire de la fulgurante ascension de son entreprise, comme si les cinq restaurants avaient cartonné naturellement les uns après les autres, sans embûche. Et pour cause, c’est exactement ce qu’il s’est passé. « Nous sommes partis du principe que rien n’était impossible. On savait qu’il faudrait beaucoup travailler mais on avait décidé qu’il fallait y aller et foncer, sans que la faisabilité soit une contrainte ».
En 2014, encore au stade de gestation du premier restaurant East Mamma, les deux trentenaires partent faire le tour de l’Italie à la rencontre des quarante producteurs de ce qu’ils pensent être une future trattoria. Au passage, ils recrutent leur squadra et dégotent alors des logements à Paris pour chacun d’entre eux. “Typiquement, cette contrainte d’avoir un staff 100% italien, de trouver à chacun une carte Vitale, un toit : on ne s’est jamais dit que c’était infaisable. On l’a fait c’est tout.” Pareil pour leur pari de faire une pizza au rapport qualité/prix imbattable. Chez Popolare, la première pizza de la carte est à 4 euros, c’est l’une des plus commandées.
Merci Patrick
Sur le plan pratique, Lugger et Seydoux ont su bien s‘entourer. Des architectes pour l’agencement des restaurants et des décorateurs mais ils ont surtout fait la rencontre d’un « faiseur de cuisines », Patrick Bedon, 72 ans. « Sans lui, on n’aurait pas fait Big Mamma » tranche carrément Victor. Les cuisines ouvertes c’est lui, leur fonctionnalité, leur praticité, c’est encore lui. Cirro, le principal chef cuisinier de la famille Big Mama explique avec un accent à couper au couteau : « Je me mets dans une pièce vide et je dis à Patrick, là je veux le chaud, ici le froid, là un meuble de rangement, ici un four ».
Cette manière de fabriquer des cuisines sur mesure pour les chefs qui la dirigeront ensuite est une garantie pour les jeunes PDG que le restaurant va fonctionner. « Si le chef est à l’aise dans la cuisine alors c’est comme si c’était sa propre cuisine et son restaurant. Il se l’approprie ».
A l’école Big Mamma, l’appropriation du lieu de travail est l’une des premières choses que l’on apprend. « Nos gars se sentent chez eux dans les restos et je ne crois pas que ce soit un calvaire quotidien de venir bosser ». C’est vrai que l’équipe en salle affiche une décontraction rassurante, qui contraste d’ailleurs avec le côté usine de certains restaurants du groupe.
Pour Cirro, l’équation du succès de la cuisine de Big Mamma est simple : « Notre métier est difficile donc si tu ne te sens pas bien et pas un peu chez toi, tu ne cuisine pas bien et ce n’est pas bon ». Lugger emploie les mots « transmission », « confiance » pour coller au vocabulaire à la mode des start-upppeurs du XXIe siècle. Il enchaîne : « Big Mamma ça marche par ce que tout le monde est motivé, du serveur au chef, en passant par le pizzaiolo, le barman. Ils sont fiers de ce qu’ils font aussi parce qu’il savent qu’ils vont évoluer, monter en grade, acquérir de nouvelles responsabilités. C’est ça l’esprit d’entreprise. Et nous trois, Tigrane, Cirro et moi, on cultive tous les jours cet esprit d’entreprise ».
Tous les jours, même en vacances. Car quand les patrons prennent des vacances, ils ne font pas les choses à moitié. « L’été dernier, on a loué un village de vacances entier et l’on a invité tous nos employés, c’était fou ».
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