Lors d’un rassemblement de cyclistes en Belgique, la police leur a bloqué le passage pour « entrave sérieuse à la circulation ». A côté des voitures, les vélos doivent encore revendiquer leur place dans le paysage urbain.
Matraques, boucliers, brigade anti-banditisme… c’est peu dire si le dispositif mis en place par la police pour stopper le cortège d’environ 70 cyclistes se promenant dans les rues de Liège le 21 avril était musclé. Ces derniers participaient à une “masse critique”, une manifestation pour revendiquer plus de place pour les vélos dans le paysage urbain. Selon les autorités de la ville belge, les vélos provoquaient “une importante congestion du trafic ». Une justification risible, à côté du balai incessant des voitures et des embouteillages journaliers.
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Menotté et embarqué par la police
Quinze camionnettes et 35 policiers ont ainsi été mobilisés pour bloquer les cyclistes. “Cette situation fut anxiogène et injustifiée aux yeux de chacun d’entre nous, d’autant plus au vu du caractère familial et festif de ce rassemblement. Cette privation de liberté a duré une bonne demi-heure, durant laquelle, aucun message de la police n’a été formulé à l’attention de notre groupe“, indique Mass Critique Liège dans un communiqué. Le collectif affirme : “L’un d’entre nous s’est approché de la ligne de policiers et s’est retrouvé plaqué violemment au sol, menotté et embarqué de force.” Après contrôles d’identité et injonctions à dissoudre le groupe, les cyclistes ont reçu l’ordre de ne plus se rassembler à l’avenir.
Pourtant, “malgré la disproportion du dispositif policier déployé, notre volonté de revendiquer la place du vélo en ville est plus que jamais intacte”, certifient les aficionados du vélo, qui se sont rassemblés à nouveau le 30 avril devant l’hôtel de ville pour protester contre les méthodes utilisées par les forces de l’ordre lors de la masse critique. Déterminés, ils organisent déjà le prochain rassemblement le 25 mai. Un “accompagnement de la masse critique” est dorénavant prévu par des policiers à vélo. « Nous ne bloquons pas le trafic, nous sommes le trafic !”, plaide de son côté le collectif liégeois.
« L’énergie, c’est nous »
Les mouvements pour la défense de la bicyclette en ville ont commencé à se former au début des années 70. “C’est dans ces années là que de grosses manifestations commencent à voir le jour. Cela est dû à une conjoncture d’événements. Après mai 68 s’installe une vraie réflexion sur la ville et apparaît la mise en cause de l’automobile qui est vu comme le reflet du capitalisme, de l’industrie. Le mouvement écologiste, libertaire prend de la place”, indique Maxime Huré, maître de conférences en science politique à l’université de Perpignan et spécialiste des mobilités, contacté par Les Inrocks. Une période également marquée par le choc pétrolier. “Le pétrole, on s’en fout, l’énergie, c’est nous”, scandait René Dumont, pionnier de l’écologie politique, lors d’une manifestation à vélo à Paris en 1972.
Quelques années plus tard, en 1992, a lieu le premier grand rassemblement de vélo nommé “Critical Mass” à San Francisco, aux Etats-Unis. Ces manifestations, aussi appelées “vélorutions”, sont depuis organisées simultanément dans plusieurs villes à travers le monde le dernier vendredi du mois à l’heure de pointe. Le but de ces différents mouvements et manifestations était à l’origine de “défendre les usagers du vélo qui n’était absolument pas pris en compte dans l’aménagement urbain, ce qui était simplement dangereux et discriminant”, explique Olivier Schneider, président de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) aux Inrocks.
Combattre l’inertie des politiques publiques
Xavier Jadoul, présent lors de la Mass Critique de Liège où les policiers ont débarqué, relève l’importance de ces événements. “C’est un moyen de nous rendre visibles et audibles dans l’espace publique. Au quotidien, je suis seul, noyé parmi les autres usagers et je dois m’adapter à eux. Et puis, il y a ce moment où les choses basculent : il y a suffisamment de vélos au même endroit en même temps pour le transformer en espace cyclable pour un instant…”
Ce dernier nous confie les raisons qui le poussent à participer à ces rassemblements. Tout d’abord à cause de “l’inertie politique face à l’enjeu de la mobilité douce dans la ville. Avec le comité de mon quartier, depuis des années, nous avons souvent interpelé les autorités sur des aménagements simples à réaliser pour permettre aux différents moyens de transports de coexister de manière plus apaisée. Sans suite…”. Ensuite, pour des raisons de sécurité. “Au quotidien, dans mes déplacements à vélo, je vis des situations dangereuses ou conflictuelles avec d’autres usagers, que ce soit des automobilistes, des piétons ou d’autres cyclistes. Ce ne sont pas toujours les individus qui sont à blâmer mais bien les infrastructures qui nous mettent en conflit.”
Quelle efficacité ?
Si les cyclistes se rassemblent, manifestent, klaxonnent, c’est pour attirer l’attention des politiques. Et ce type de regroupements peut avoir un impact sur les élus selon Maxime Huré, chercheur à l’université de Perpignan, notamment parce qu’ils sont très visibles et qu’ils “créent aussi un impact médiatique”. Le militantisme cycliste possède un rôle important pour amorcer le dialogue avec les collectivités, soutient le président de la FUB. “Par contre, ce n’est pas une fin en soi, mais une étape avant de d’être reconnu comme interlocuteur crédible et force de proposition.”
Une crédibilité qui se met progressivement en place selon Maxime Huré, qui assure que les associations de défense de vélo se sont structurées et offrent aujourd’hui leur expertise. “Auparavant, il n’y en avait aucune dans les ministères. Aujourd’hui, ils argumentent en faveur du vélo, proposent des expertises pour atteindre les pouvoirs publics. Ils vont par exemple détailler comment aménager un carrefour. Ils sont devenus des experts-associatifs, qui intègrent dorénavant les institutions. Cela va donner un vrai élan car leur cause est dès lors plus reconnue.”
« Premier Plan National Vélo qui soit sincère et surtout financé »
On assiste ces dernières années au retour en grâce du vélo. Le marché du cycle a battu des records en 2016, avec trois millions d’unités vendues. Pour Maxime Huré, auteur du livre Les mobilités partagées : nouveau capitalisme urbain (Editions de la Sorbonne, 2017), ce succès est notamment dû ”à l’évolution positive de l’image du vélo, à l’augmentation des politiques publiques urbaines, au développement du vélo en libre service, à l’amélioration de la sécurité et à l’augmentation de places de stationnement”. Il souligne également que le contexte est très favorable, avec le développement durable et les questions climatiques qui se trouvent sur le devant de la scène. Si des améliorations sont incontestables, il reste encore beaucoup à faire.
En décembre 2017, Elisabeth Borne, ministre chargée des Transports, a annoncé la mise en place d’un Plan Vélo et déclare vouloir une “réelle politique en faveur du vélo”. La ministre affirme qu’un investissement de 100 millions d’euros par an sera consacré aux nouvelles mobilités.
Le président de la FUB, Olivier Schneider, attend beaucoup de ce plan mais ne cache pas son inquiétude quant à sa véritable mise en place car à sa connaissance, les arbitrages n’ont toujours pas eu lieu. Cependant, “ce plan pourrait être le premier Plan National Vélo qui soit sincère et surtout financé”. Ce dernier indique que la FUB sera particulièrement attentive à trois mesures, qui permettront selon lui de mesurer l’engagement de l’Etat : “la création du fonds vélo de 200 millions d’euros par an, la généralisation de l’indemnité kilométrique vélo et la revue des dispositifs d’aide à l’acquisition de vélo, suite à la suppression du bonus pour l’achat de vélos électriques.”
Un meilleur partage de la ville
200 députés ont récemment appelé à la création d’un “ambitieux plan vélo” et ont déclaré que “le vélo est un mode de déplacement d’avenir”. Contacté par Les Inrocks, Didier Vasseur, dit Tronchet, dessinateur de bandes dessinées et auteur du livre Petit traité de Vélosophie (Plon, 2000) estime que la petite reine est “le moyen de transport qui correspond tout à fait à la ville, puisqu’il est silencieux, de vitesse réduite et moins dangereux qu’une voiture ou un bus. Il se fond dans toutes les rues, mêmes les plus étroites”.
Le dessinateur ne plaide cependant pas pour une suprématie du vélo. “Il faut encore plus partager la ville, entre les vélos, les piétons et d’autres moyens de transport. Il ne faut pas que l’un d’entre eux soit hégémonique, comme l’est la voiture actuellement. Il faut un rééquilibre.” Ce dernier est cependant catégorique : il faut chasser la voiture de la ville. “Quand on est sur un vélo, on est en surplomb, on ressent de la légèreté. Ce sont des choses difficiles à ressentir quand on est emprisonné dans une cage d’acier. Pour moi c’est important de ne pas être en opposition avec son environnement mais de faire corps avec lui.” Il souligne l’évidence de ce mode de transports que dès lors, “il n’y a pas besoin de militer : il n’y a qu’à rouler à vélo, c’est la meilleure manière de lutter.”
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