Après que Louis C.K. a été débarqué de Better Things suite à des accusations d’agression sexuelle, Pam Adlon a failli tout plaquer. Finalement, elle a offert “une nouvelle peau” à cette série sur une femme confrontée au passage du temps.
Sa voix porte comme peu d’autres. Il arrive qu’elle chante. Elle part toutes les deux ou trois minutes dans des éclats de rire. D’une manière générale, Pamela Adlon prend de l’espace : sa série Better Things s’impose depuis deux ans comme une énergique introspection à ciel ouvert, centrée sur ses angoisses de femme de 50 ans et des poussières.
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Adlon incarne Sam, une actrice qui a beaucoup travaillé dans le doublage de dessins animés – comme elle – et gère une carrière de soutier dans la deuxième division du système hollywoodien – un peu moins comme elle depuis cinq ans, succès oblige. Cette célibataire et mère de trois enfants avance dans la jungle ensoleillée de Los Angeles avec sa folie propre, une manière de jongler entre la joie de tenir debout et l’épuisement d’un corps qui aimerait jouir plus et subir moins.
« Débriefer son existence en direct »
Cela donne une fiction qui avance sans vraiment respecter les lois ordinaires de la série, comme ses cousines contemporaines d’expérimentation Atlanta ou Smilf. Ici, on déambule, on change de chemin en cours de route, on passe du temps à ressentir l’intensité de moments épars. “Chaque matin dans la salle d’écriture, je raconte les conneries qui m’arrivent, explique Pam Adlon. C’est toujours stimulant de débriefer son existence en direct. Les séries permettent cela. Si on vit vraiment, on a des millions d’histoires à raconter.”
Pendant deux saisons, Better Things a donc été l’œuvre d’un duo en coulisses, avant que ne soient révélées, à l’automne 2017, les agressions sexuelles commises par Louis C.K.
Pendant des décennies, Pamela Adlon n’a pas eu la confiance et les opportunités nécessaires pour imaginer que sa vie intéresserait d’autres qu’elle. Better Things a surgi grâce à sa proximité artistique avec Louis C.K., qui l’avait engagée en tant que comédienne sur Louie, avant de l’encourager à créer, en sa compagnie, cette série inspirée de sa vie. Pendant deux saisons, Better Things a donc été l’œuvre d’un duo en coulisses, avant que ne soient révélées, à l’automne 2017, les agressions sexuelles commises par Louis C.K. contre plusieurs actrices et comiques américaines. L’article du New York Times, publié quelques jours avant la diffusion des derniers épisodes de la seconde saison de Better Things, conduit la chaîne FX à couper immédiatement ses liens avec l’intéressé. Un choc frontal pour Adlon, qui a envisagé sérieusement d’arrêter la série. Avant de changer d’avis.
Série en liberté
Pendant notre petite demi-heure de conversation au téléphone, depuis une chambre d’hôtel selon elle “dégueulasse” de l’Ohio, Pamela Adlon ne prononce pas le nom de Louis C.K., comme si la blessure était encore trop vive. Elle y fait néanmoins allusion dès que l’on aborde la manière dont ont été façonnés ces douze nouveaux épisodes. “J’ai formé une salle d’écriture pour la première fois. La chaîne m’a proposé des femmes. C’est moi qui ai fini par leur dire que j’aimerais inclure aussi des mecs ! Je leur ai rappelé que mon partenaire d’écriture pendant dix ans avait été un homme…”
« J’ai eu la possibilité d’évoquer plein d’histoires, de les faire sortir de moi au sein d’un collectif » Pam Adlon
Adlon n’en dira pas plus, avant d’embrayer sur la beauté de cette nouvelle expérience, soulignant en creux la libération ressentie. “J’ai eu la possibilité d’évoquer plein d’histoires, de les faire sortir de moi au sein d’un collectif, ce qui était inédit pour moi. Avec l’une des scénaristes, Sarah Gubbins, la méthode était un peu particulière : on jouait les histoires l’une en face de l’autre, on imaginait des dialogues en direct. C’était génial !”
Nouvelle saison, nouvelle peau
Pour les sériephiles féministes, le nom de Sarah Gubbins résonne très fort. Il y a deux ans, elle a cocréé avec Jill Soloway l’incroyable I Love Dick, qui mettait en avant l’idée d’un regard féminin politique et esthétique. “Je n’avais jamais vu cette série avant de rencontrer Sarah, mais je l’ai trouvée fulgurante. Sarah est entrée dans mon monde parce que sa vision était compatible avec la mienne.” La créatrice insiste sur l’apport de Sarah Gubbins et Joe Hortua – un des nouveaux scénaristes – en tant que dramaturges.
“Je voulais que cette saison soit plus linéaire que les précédentes. J’ai eu envie d’arches narratives structurées et d’un récit vraiment lisible. J’ai aussi enlevé le générique et la chanson Mother de John Lennon, comme si la série s’offrait une nouvelle peau.” Dans les premiers épisodes, les seuls que nous avons pu voir au moment d’écrire ces lignes, Sam vit une forme de solitude peuplée. Elle accompagne sa fille de 18 ans qui part faire ses études à Chicago et doit accepter de vivre sans elle. A son retour, les personnes qui l’entourent – ses autres filles, sa mère malade – maintiennent leurs distances tout en lui demandant beaucoup. Son éternel paradoxe.
« Nous ne nous rendons pas service quand nous essayons de cacher des aspects de nous qui sont normaux, naturels. » Pam Adlon
Les ouvertures des deux premiers épisodes de cette troisième saison mettent en scène Sam face à son corps – elle essaie des habits devenus trop petits, se tortille au lit pour essayer de se réveiller – qui semble ne plus exactement répondre à son cerveau de la même manière. Même si le mot n’est pas prononcé, la ménopause guette. “C’est normal que je parle de mon corps et de ses fluides. J’ai appris récemment que le père d’Anne Frank avait voulu censurer des passages très beaux de son journal, où elle décrivait son corps et ce qui se passait pour elle quand elle explorait son sexe. Nous ne nous rendons pas service quand nous essayons de cacher des aspects de nous qui sont normaux, naturels. Toutes les femmes ont leurs règles durant une partie de leur vie, mais personne n’en parle.”
La vie mais pas la tragédie
Il émane de cette série (et de sa créatrice) une profondeur qui n’en a pas toujours l’air – et que l’on pourrait même rater. Nous sommes devant une sorte d’artisanat sériel. “Tout est fait main”, ne cesse de répéter Adlon, qui a réalisé seule l’intégralité des épisodes. “Ce que je montre cette saison, poursuit-elle, ce sont des changements. Des dégâts. Je voulais que ce soit le bordel dans la vie de Sam, de Max, de Duke, de Frankie, de Phyllis. Je voulais une héroïne choquée par la vie. Parce qu’on prend des chocs dans la vie. On se regarde dans le miroir tous les jours et puis arrive un matin où on se dit : ‘Putain, qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui est arrivé à mon visage ?”
Malgré les apparences, les pires diagnostics sur l’impossibilité du bonheur ne résistent pas à Pamela Adlon. Elle a beau expliquer que tout ira moins bien demain qu’hier, quelque chose en elle refuse la tragédie. “Pour moi, tout est un peu drôle. Et quand quelque chose est horrible, c’est encore plus drôle. J’en suis là, aujourd’hui. L’une de mes amies va mal en ce moment. On fait du sport ensemble. Pendant une séance, elle s’est mise à pleurer sur son appareil de muscu. Tellement déprimée. Je me suis tournée vers une femme qui la regardait et je lui ai dit : ‘Vous inquiétez pas, elle fait ça tout le temps !’ J’ai commencé à lister à voix haute les trucs horribles qui lui arrivaient et mon amie a mêlé un fou rire à ses larmes. Finalement, on s’est bien marrées. Cette scène sera dans Better Things saison 4, j’en suis sûre.”
Better Things saison 3. A partir du 29 février sur Canal+ Séries
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