A 34 ans, au top de sa cote, il vient de lancer son Nouveau Parti Anticapitaliste. Mais que peut vraiment l’étoile montante de l’extrême gauche ?
« Olivier, Olivier, encore une petite photo !” Devant l’usine Philips dont les salariés sont en grève, le jeune leader trotskiste passe de bras en bras, ajustant son sourire de gendre idéal sous l’objectif des portables, éclipsant Arlette Laguiller venue avec lui soutenir les ouvriers en lutte. Ils n’en ont que pour Olivier Besancenot, étoile montante de l’extrême gauche, porteur d’espoir de la galaxie anticapitaliste. “Il est sympa”, “Il est comme nous”, “Il nous défend”, entend-on dans la foule qui se presse autour de lui.
A la tête du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qui est né le week-end dernier sur les ruines de la vieille LCR, Besancenot, 34 ans, est au firmament des sondages. Au printemps dernier, il a rejoint le top 10 des personnalités politiques auxquelles l’opinion souhaite voir jouer un rôle dans l’avenir. Plus important, il est régulièrement considéré comme le meilleur opposant à Nicolas Sarkozy. Dans un sondage LH2 pour Libération d’octobre 2008, il est celui qui incarne le mieux les valeurs de la gauche juste derrière Ségolène Royal et au coude à coude avec Bertrand Delanoë.
Le phénomène Besancenot est né en 2002, au moment de la campagne présidentielle. A 28 ans, il est le plus jeune candidat. Rien de neuf en revanche dans son programme qui reprend les vieilles antiennes anticapitalistes : réquisitions, nationalisations, interdiction des licenciements. L’extrême gauche recueille 10% des suffrages au premier tour, dont 4,2 % pour Besancenot, le candidat de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Un succès pour le petit parti trotskiste qui plafonne à 1500 adhérents, et qui n’avait pas présenté de candidat depuis 1974.
Le pari d’Alain Krivine a fonctionné : son poulain donne un coup de jeune à l’organisation et éveille l’intérêt de la presse et de la gauche bobo. Mais sa popularité n’explose vraiment qu’en 2005, lors de la campagne autour du référendum sur la ratification du traité pour la Constitution européenne. Besancenot devient l’un des principaux porteparole du “non” quand les grands partis, du PS à l’UMP, prônent le “oui”.
En quelques mois, il grimpe dans toutes les enquêtes d’opinion. Selon l’institut Ifop pour Paris-Match, il passe ainsi de 38% d’opinions favorables en avril à 46 % en juillet. Chez les sympathisants de gauche, le saut est vertigineux : il bondit de 35 à 65% d’opinions positives. Sa bonne cote se renforce encore lors de la fronde anti-CPE au cours de laquelle il arpente le pavé aux côtés d’une jeunesse inquiète.
Pour la présidentielle 2007, alors que la tendance est au vote utile à gauche depuis le traumatisme de 2002, qui a vu la qualification de Le Pen au second tour devant Lionel Jospin, le facteur de Neuilly confirme son installation dans le paysage politique français en recueillant 4,08 % des voix. C’est moins en pourcentage qu’en 2002 mais, du fait du taux de participation exceptionnel, le candidat antilibéral gagne 300000 voix par rapport à son précédent score. Surtout, il est le seul candidat à la gauche du PS à tirer son épingle du jeu. Arlette est reléguée à l’histoire et le PC poursuit sa descente aux enfers. La LCR devient dominante dans la mouvance anticapitaliste.
Les médias s’arrachent Besancenot. Car le jeune postier a un atout : il crève l’écran. “C’est un enfant de la télé”, note Denis Pingaud, auteur de L’Effet Besancenot (Seuil, 2008). Le chef de file trotskiste maîtrise les codes de la petite lucarne, son discours est carré, il utilise des mots simples. Il paraît en rupture avec la langue de bois ambiante. En mai dernier, il se paye même le luxe de créer la polémique en acceptant l’invitation de Michel Drucker à Vivement dimanche. Un dirigeant révolutionnaire s’exprime devant plus de deux millions de personnes.
Entre-temps, le parti a vu ses effectifs doubler. Mais ce n’est pas assez pour ses dirigeants qui veulent rentabiliser la popularité de leur jeune leader. L’idée est alors lancée de fonder un nouveau parti qui attirerait les anticapitalistes de tous poils, notamment les jeunes radicaux, qui n’auraient pas forcément envie d’adhérer à la LCR. Ce sera le NPA dont le congrès fondateur a eu lieu ce week-end. Est-ce le début d’une nouvelle aventure ? Olivier Besancenot réussira-t-il à faire sortir l’extrême gauche de ses 10% ? C’est tout l’enjeu de la création du NPA.
Alors Besancenot, feu de paille ou leader d’avenir ? En tout cas, sa popularité n’est pas bidon. Elle repose sur des éléments solides. Elle s’inscrit, en effet, dans une progression de l’espace électoral de la gauche radicale depuis la fin des années 90. Déjà, Arlette Laguiller avait fait une percée lors de la présidentielle de 1995 avec 5,3 % des suffrages. En 1998, les listes LO et LCR aux régionales décrochent respectivement 20 et 3 postes de conseillers régionaux. Dans la foulée, les deux partis s’allient pour les européennes de 1999 et passent la barre des 5%, permettant à cinq des leurs de siéger à Strasbourg et à Bruxelles.
“Dans le contexte actuel de contestation du système économique, d’impatiences sociales et d’inquiétude face à la crise, il existe des aspirations fortes au changement, note François Miquet-Marty de l’institut LH2. Le NPA peut très facilement osciller entre 5 et 10 %.” D’autant plus que pendant que son chef de file arpente les manifestations et multiplie des visites de soutien aux ouvriers en grève, le Parti socialiste semble toujours englué dans des querelles d’ego bien loin des souffrances des salariés.
Outre le contexte global, Olivier Besancenot peut compter sur un charisme personnel qui attire notamment les jeunes. Avec son look d’éternel étudiant – jeans, T-shirts et sweets à capuche –, il détonne dans l’univers des costumes gris foncés. “A un moment de rejet de la classe politique traditionnelle vécue comme vieille et usée, il apparaît comme le renouvellement”, explique le professeur de sciences politiques Pascal Perrineau.
Avec son métier (facteur) qui fait partie des professions respectées et sa fiche de paye à 1100 euros par mois net, il fait figure de salarié comme les autres qui peut comprendre ceux qui galèrent. Sa jeunesse fait qu’il n’a participé à aucune querelle interne de l’extrême gauche, il est vierge des conflits qui ont marqué ses aînés. N’ayant jamais eu de mandats électifs, il n’est, en outre, comptable de rien. Il peut ainsi incarner une sorte de pureté révolutionnaire.
Dans un premier temps, rappelle Pascal Perrineau, “il a d’abord séduit les franges de cadres moyens, intellos, étudiants, monde enseignant” en mal de radicalité. Un vivier qui correspond bien à ses origines sociologiques. Car le défenseur de la classe ouvrière est loin d’être un prolo. Fils d’un professeur de physique et d’une psychologue scolaire, il est lui-même titulaire d’une licence d’histoire. “La nouveauté, poursuit Perrineau, c’est sa capacité à incarner ici et là une
certaine colère populaire notamment dans les anciens bastions communistes de Seine- Saint-Denis où la LCR n’existait pas et où elle a obtenu des scores de 7, 8, 10% aux dernières municipales. C’est la clé de son avenir : ou il pousse son avantage dans ces milieux-là, ou il restera enclavé dans l’extrême gauche qui ne dépasse pas les 10 %.”
S’il parvient à séduire durablement l’électorat populaire, Olivier Besancenot deviendra une vraie menace pour la gauche. Refusant toute alliance avec les socialistes, ne prend-il pas le risque de faire le jeu de la droite en empêchant mécaniquement les socialistes de reconquérir le pouvoir ? “Il représente un danger pour la gauche dans la mesure où il incarne assez bien une utopie à laquelle aspire les sympathisants de gauche, note Miquet-Marty de LH2. La radicalité qu’il défend a pris la place du rêve communiste des années 60-70.” Besancenot fossoyeur de la gauche ? C’est le scénario qu’attend la droite avec délectation. Lors d’un voyage au Liban en juin 2008, Nicolas Sarkozy se penche vers François Hollande, alors premier secrétaire du PS, et lui lance avec gourmandise : “On va vous faire avec Besancenot ce que vous nous avez fait avec le Pen.”
De fait, les socialistes ne savent pas comment s’y prendre avec le leader trotskiste. Alors que beaucoup d’entre eux sont passés par les rangs de la Ligue, ils sont désarçonnés par la distance qu’Olivier Besancenot met entre eux et lui. Quand Julien Dray le tutoie sur un plateau de télévision, il lui répond du tac au tac “vous”. “Je ne connais pas personnellement les dirigeants socialistes”, aime-t-il à répéter dans les interviews. “Avec Krivine, on discute, on plaisante et on peut boire des coups à l’occasion. Pas avec Besancenot, il est beaucoup plus radical, c’est plus un anar qu’un trotskar”, constate le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis. Changement de génération.
Inquiet de la montée en puissance du facteur, François Hollande a mis en place un comité de surveillance de la LCR/NPA sous l’égide de l’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant. Cette cellule anti-Besancenot s’est réunie deux ou trois fois pour finalement conclure que “la stratégie du PS devait être de ne pas se définir par rapport à lui”, explique Cambadélis. Un élément majeur les a rassurés : à l’inverse des électeurs du FN qui se dispersent au second tour des élections, ceux d’extrême gauche se reportent mécaniquement et massivement sur le candidat de la gauche le mieux placé. Une voix Besancenot n’est donc pas une voix perdue pour les candidats socialistes malgré les prises de position de son leader très critiques à l’égard du PS.
Mais, même si elle se défend d’en avoir peur, la nouvelle direction du PS semble avoir pris acte de la présence de Besancenot dans le paysage politique. A peine élue, Martine Aubry a promis que les socialistes seraient à nouveau aux côtés des salariés en lutte et reprendraient leur place dans les défilés et autour des piquets de grève dans les usines. Il était temps. Le 29 janvier dernier, elle s’est d’ailleurs montrée auprès des manifestants contre le plan de relance de Nicolas Sarkozy. Le choix de Benoît Hamon comme porteparole du parti témoigne bien de cette volonté de ne pas se laisser tailler des croupières par Besancenot. Jeune, plus à gauche que le reste du PS, Hamon a le profil idéal pour convaincre les socialistes en mal de radicalité de rester fidèle au parti.
Le leader du NPA aura aussi du fil à retordre avec ses concurrents d’extrême gauche. Car si on peut voir des similitudes entre les phénomènes Besancenot et Le Pen (incarnation d’une protestation, refus des alliances, positionnement hors système), Le Pen avait réussi à unifier toute l’extrême droite derrière lui, ce que ne parvient pas à faire Olivier Besancenot avec l’extrême gauche. Celle-ci est, en effet, morcelée entre LO, le PC, et maintenant le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. En appelant à un “front” de toute la gauche non socialiste aux élections européennes, ce dernier a tendu un piège habile au fringant postier. Condamné à refuser pour ne pas diluer sa toute nouvelle organisation, Besancenot passe pour le mauvais coucheur alors que le PC s’est précipité pour saluer cette offre d’union.
Les élections européennes de juin prochain seront un bon test pour le NPA. D’un côté, il semble bien placé pour incarner la vague de protestation qui monte dans l’opinion. De l’autre, il sera concurrencé par le PC et Mélenchon et par la liste Cohn-Bendit/ Bové qui peut, elle aussi, attirer les aspirants à la radicalité. “S’il parvient à prendre la tête du front de ceux qui gueulent et de ceux qui luttent, il peut aller jusqu’à 15, 16% des voix, résume le socialiste Jean-Christophe Cambadélis. Mais tant que l’extrême gauche reste émiettée, il n’arrivera pas à casser le plafond de verre.”
Fort de sa popularité, Besancenot veut faire du NPA un outil puissant pour renverser le capitalisme. Mais, pour l’instant, il n’a pas fait la preuve qu’il en était capable. “Le NPA n’est pas un raz-de-marée, loin de là, il n’y a pas de dynamique irrésistible”, observe le politologue Pascal Perrineau. S’il attire des jeunes radicaux, il n’est pas parvenu à convaincre les cadres du mouvement ouvrier et peine à atteindre la barre des 10 000 adhérents qu’il s’était fixée. “Aujourd’hui, il y a une telle crise de confiance des Français dans les appareils politiques que la naissance d’un nouveau parti ne bouleverse pas les foules”, poursuit Pascal Perrineau. Surtout que la crise pousse à la méfiance : “Les gens sont inquiets, mais on ne peut pas leur raconter n’importe quoi. Ils ne se contentent pas d’un discours de la contestation, ils veulent des propositions.”
Or Besancenot reste essentiellement enfermé dans une stratégie de dénonciation et de boucs émissaires que sont les patrons et le grand capital. Sa principale proposition face à la débacle financière : la mise en place d’un service public bancaire et une augmentation de 300 euros pour tous. Un peu court pour dépasser la barre des 10% et sortir des frontières naturelles de l’extrême gauche.
Retrouvez un dossier complet sur Olivier Besancenot dans le numéro des Inrockuptibles daté du 10 février.