La vie nocturne de Berlin se trouve actuellement menacée par une hausse des tarifs de la Gema, l’équivalent allemand de la Sacem. Depuis juin, les manifestations en soutien aux boîtes de nuit font rage. L’eldorado européen de la fête est-il voué à perdre ses lettres de noblesse ?
« Je me prévois au moins un week-end à Berlin par trimestre, juste pour aller clubber. Si le Berghain et le Watergate venaient à fermer, je ne suis pas sûr de continuer. » Pour Maxime, 24 ans, étudiant en communication désabusé de la vie nocturne parisienne, Berlin est encore un vrai bol d’air frais :
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« L’esprit allemand change de l’ambiance convenue de nos Social Club, Wanderlust et autres établissements du même acabit. À Paris, je ‘sors’. À Berlin, je ‘fais la fête’. Voilà la différence. »
Des clubbers comme Maxime, il y en a tous les week-ends : déposés à l’aéroport Schoenefeld par un avion Easy Jet, ils espèrent pouvoir passer l’entrée du Berghain et y danser jusqu’au petit matin. Après une curry wurst, une Bionade et un détour par les puces de Mauer park, tous rentreront au pays avec la sensation d’avoir « profité de tous les charmes outre-Rhin ». Mais cette effervescente vie nocturne, pour le moment gros attrait touristique de Berlin, serait aujourd’hui remise en question.
En juin dernier, la société allemande des droits d’auteur (Gema) a annoncé une augmentation de ses tarifs, qui prendra vraisemblablement effet à partir de janvier 2013. Pour justifier cette révision de la grille des taxes, la Gema explique vouloir simplifier la classification, mais surtout, dégager de nouveaux fonds pour alléger les petits événements. En théorie, la nouvelle planche tarifaire est donc supposée mieux répartir les budgets attribués aux manifestations musicales. En pratique, elle handicaperait surtout un certain nombre d’établissements nocturnes, menacés de fermeture s’ils se retrouvent dans l’incapacité de joindre les deux bouts. C’est potentiellement le cas de nombreux bars et discothèques de la capitale dont les rentrées d’argent couvrent tout juste les dépenses.
Ce qui change
Là où la Gema disposait de onze classes de tarifs différentes, elle n’en présentera bientôt plus que deux, modulables selon des critères comme la taille du lieu, la jauge de la salle, les heures d’ouverture, le prix d’entrée pour les clubbers, et la nature de la soirée (live ou DJing). Une taxe de 50% sera également à prévoir sur les événements durant plus de 5h.
Ainsi, selon l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, une boîte de nuit berlinoise classique de 410 mètres carrés, présentant une entrée à 8 euros et deux événements par semaine de 22h à 5h du matin, verra ses taxes passer de 14 500 à 95 000 euros.
Dans ce cas-type, l’augmentation est de 560%. Mais pour Steffen Hack, cofondateur du Watergate, la mise en place de cette nouvelle réforme aurait des conséquences plus dramatiques encore :
« Notre redevance augmenterait de 2000%. De la folie ! Si cette mesure devait passer, c’est notre public qui trinquerait. On aurait pas d’autre choix que d’augmenter le prix de l’entrée. Ou fermer. »
Dans ce contexte, certains gérants de bars et de clubs risqueraient donc de se décourager à maintenir leur entreprise. La situation n’est pas sans rappeler le spectre d’une gentrification généralisée, déjà décriée par certains acteurs de la vie nocturne locale. Plus tôt dans l’année, la presse allemande s’était déjà emparée du sujet : en effet, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à contribuer à changer l’identité de certains quartiers, en transformant d’agitées rues de la soif en rangées résidentielles de lofts retapés. Berlin est-elle une capitale qui s’assagit ?
Mobilisation massive
Soucieux de défendre la réputation de « Mecque du clubbing » de leur ville, les Berlinois se mobilisent. Près de 170 000 personnes ont déjà signé une pétition contre la nouvelle réforme Gema.
Fin juin, des milliers de Berlinois ont envahi les rues de Prenzlauer Berg pour protester contre ce qu’ils dénoncent être une décision absurde.
« La Gema décide de ce qu’elle veut, sous couvert de solidarité avec les petits événements. Mais la rhétorique ‘Robin des Bois’ ne dupe personne : comment parler de solidarité alors que des hauts lieux de la nuit berlinoise risquent carrément de fermer ? » se demande Franz, 31 ans, clubber invétéré.
De son côté, Lorenz Schmid, un des directeurs de la Gema, rétorque : « Les établissements ont été habitués à payer trop peu par le passé. À raison de 10% de taxe par billet vendu, je ne vois pas comment un club peut sincèrement être menacé de fermeture. C’est aux établissements de repenser leur économie interne. Il s’agit d’une effort à consentir pour tous, en particulier pour les artistes dont on passe les morceaux en boîte. »
Sauf que si bars et discothèques ferment, la rentrée d’argent risque de toute façon de s’affaiblir. Au détriment de ces mêmes artistes ? En attendant, certains acteurs de la night life remarquent ironiquement qu’une législation plus sévère peut peut-être contribuer à relancer les fêtes illégales, et donc redonner un souffle d’air frais à la scène underground berlinoise tant adulée. Comme dans les années 90 après la chute du mur, quand l’occupation des lieux abandonnés a permis de créer l’impulsion underground qui fait la réputation de Berlin aujourd’hui.
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