Ils sont quatre millions de jeunes, âgés de 18 à 23 ans, à avoir, dimanche 24 et lundi 25 février, voté pour la première fois à une élection nationale. Vers qui se sont-ils tournés ? Alors qu’aucune majorité claire ne se dessine et qu’un nouveau vote pourrait intervenir dans les prochaines semaines, l’incroyable succès du comique Beppe Grillo reste la seule certitude. Et la jeunesse italienne n’y est pas pour rien.
(De Turin) Mardi 26 février, la ville de Turin se réveille. Journaux télévisés et radio ne parlent que de l’élection et de ses résultats. La ville et ses habitants, eux, ne semblent pas s’être métamorphosés dans la nuit. Une chose a changé cependant, ici, et dans toute la péninsule pour quatre millions de personnes, les 18-23 ans : pour la première fois de leur vie, ils ont pu voter à l’occasion d’une élection nationale.
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Dans une société italienne où la crise étouffe les projets d’avenir, où les scandales de corruption n’en finissent pas d’amocher la confiance envers les élus, les jeunes ont semble-t-il contribué au succès de la contestation menée par Beppe Grillo. Le désormais célèbre bloggeur italien, fort de plus de 25% des suffrages exprimés à la chambre des députés et de presque 24% au Sénat (où les moins de 25 ans ne peuvent pas voter) a réussi à séduire un large panel d’électeurs, mais surtout, il a caracolé en tête chez les plus jeunes. Un sondage réalisé peu avant l’élection notait ainsi que plus de 30% des 18-25 ans voulaient voter pour le leader du mouvement Cinq étoiles.
Un choix électoral qualifié lundi soir par Emmanuel Letta, le vice-secrétaire du Parti démocrate (centre-gauche), d' »entrée en rébellion », l’homme regrettant toutefois que « beaucoup d’Italiens aient suivis des propositions idéologiques ».
« J’ai voté Grillo car jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours été déçu par les politiques »
Nouveau venu sur la scène politique italienne, Beppe Grillo a réussi à s’imposer comme la figure du changement, en opposition à « la vieille classe politique » décriée, repue de privilèges. Une dimension intégrée par Luca Marzolino, pizzaiolo turinois de 23 ans et électeur de Beppe Grillo :
« Hier, j’ai voté Grillo car je n’en peux plus… Je n’en peux plus de tout ce qui nous entoure. L’utopie de gauche de Bersani (PD)… Les moqueries de la droite (PDL)… Le néofascisme de la Ligue du Nord… »
Un discours qui s’inscrit dans un climat de méfiance généralisée des Italiens à l’égard des parlementaires et des institutions. En effet, selon le 24e rapport de l’Eurispes en 2012, c’est au Parlement que les Italiens se fient le moins : seulement 9,5% de ces derniers concèdent une grande ou relative confiance aux parlementaires. Pire, les jeunes de 25 à 34 ans exprimeraient le plus fort sentiment de défiance vis à vis des institutions et du politique (74.6%).
Luca s’interroge : « Pourquoi ne pas essayer de gouverner avec des gens normaux, qui vivent avec un salaire normal et qui touchent du doigt la réalité quotidienne de ce pays ? J’ai voté pour Grillo car jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours été déçu par les politiques. »
Une opinion que partage Ernes Franco, étudiant de 21 ans au Polytecnico de Turin :
« J’ai voté pour le mouvement Cinq étoiles car lui seul proposait des arguments nouveaux. Selon moi, Beppe Grillo est très cohérent dans ses propos : il veut laisser la place aux jeunes, alors il ne se présente pas (NDLR : ce dernier n’est pas candidat à la présidence du Conseil en raison d’une condamnation pour homicide suite à un accident de la route en 1981). Il voit la politique comme un service social et non comme un métier ! En Italie, les personnes sont parlementaires de naissance. La campagne électorale de Grillo a presque été faite à taux zéro, il ne devra pas, demain, rendre des comptes à qui que ce soit. »
Face à l’argument populiste, adjectif souvent employé pour décrire le comique aux cheveux longs, Ernes s’offusque : « Il n’est même pas candidat ! Comment pourrait-il être populiste ? » Et d’ajouter que c’est Silvio Berlusconi, et non son candidat, qui a proposé le remboursement de la taxe d’habitation en plein milieu de la campagne électorale.
Il est vrai que l’ex-humoriste a fait de la dénonciation des scandales de corruption son fond de commerce électoral. Entré en politique à travers le V-Day (soit Vaffanculo Day, pour « va te faire foutre ») en 2007, le Génois a su se servir des nouveaux moyens de communication pour fédérer les jeunes. Tout au long de la campagne, il a refusé les plateaux de télévisions et le débat avec les autres candidats, préférant la communication directe sur la toile et sur son blog.
http://www.youtube.com/watch?v=R5z_EpmD-lg
A travers ce qu’il a nommé le « Tsunami tour », il se balade de ville en ville dans sa camionnette et propose, entre autres, d’instituer un salaire minimum de 1000 euros (il n’existe pas de Smic en Italie), la gratuité de l’abonnement Internet, d’organiser un référendum sur le retour à la lire et, bien sûr, de supprimer les privilèges et salaires fastueux des « pourris » de la classe politique.
« Notre pays coule à pic comme le Titanic »
Ces thèmes, pour la plupart touchant le quotidien des électeurs et à forte dimension sociale, séduisent les Italiens et en particulier les jeunes, victimes de la crise et du chômage.
Selon les chiffres de janvier fournis par l’Istat, le taux de chômage chez les 15 – 24 ans en Italie est de 37,1%, le niveau le plus haut jamais atteint depuis le début du recueil des chiffres par l’Institut de Statistique, en 1992. Selon l’Union européenne, l’Italie comporterait un risque élevé « d’entrer dans la pauvreté, avec de basses possibilités d’en sortir ». Seules la Grèce, l’Espagne et le Portugal affichent d’aussi tristes records en terme de chômage chez les jeunes.
Face aux difficultés quotidiennes, Luca Marzolino se dit « détruit » :
« Notre pays coule à pic comme le Titanic, mais il fait beaucoup plus de victimes. Les victimes, c’est nous : nos vies, notre famille, notre travail, notre école, nos hôpitaux, nos enfants. Je gère la pizzeria avec mon père, et je n’en peux plus de le voir désespéré car il n’a pas un euro en poche. »
Cependant, tous ne sont pas convaincus par la solution Grillo, comme Fabrizio Pilato, étudiant en droit à Catane de 23 ans : « Je ne savais pas vraiment pour qui voter, et j’ai fini par choisir le Parti du Popolo della libertà (i.e celui de Berlusconi). Grillo peut avoir de bonnes idées mais il reste un comique. Certaines de ses idées sont complétement irréalisables. » La seule chose qui lui importe ? « Que l’Italie sorte de cette crise qui a porté trop de personnes au désespoir. »
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