Au lendemain de son élimination aux législatives, Benoît Hamon s’empare du mythe de Sisyphe pour exprimer sa peine. Ou sa combativité ?
La lose
Les internautes ont pris l’habitude d’exprimer leur profonde déprime du lundi matin (pire que le blues du dimanche soir ?) à coups de Grumpy Cat, de personnages en PLS ou de Cri de Munch. Benoît Hamon n’échappe pas à la tendance et opte pour une image de Sisyphe, un peu plus référencée qu’un chat qui fait la tronche.
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Il faut dire que ça ne va pas fort fort. Après s’être vu éliminé dès le premier tour de la présidentielle avec 6,36 % des voix, un score historiquement catastrophique, l’ancien ministre de l’Education nationale a perdu sa 11e circonscription des Yvelines en arrivant en troisième position avec 22,59 % des voix.
Le message est d’une sobriété qui transpire le désespoir : Benoît Hamon sait qu’on sait et n’a donc pas besoin de faire des phrases pour exprimer son sentiment au lendemain de sa défaite. Un point final savamment placé à la suite de ce “lundi matin” suffit à dire le poids qui pèse sur son cœur.
Hashtag mythique
Celui qui citait (mal) Nietzsche le 6 juin lors d’une réunion à Trappes – “Tout ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort” – prend tout de même le soin d’ajouter un hashtag à la fin de son message, histoire que les twittos qui taperaient “Sisyphe” dans leur barre de recherche ne loupent pas son tweet, ou que l’on saisisse bien la référence.
Il est donc ici question du rusé Sisyphe, fils d’Eole, qui déclencha la colère des dieux en échappant à la mort et fut condamné à porter un rocher au sommet d’une colline ad vitam aeternam, comme on dit, puisque sitôt parvenu en haut, le rocher dévalait la pente et Sisyphe n’avait plus qu’à recommencer.
L’image choisie est l’une des plus célèbres représentations du mythe, une huile sur toile signée Le Titien, datée de 1549, actuellement exposée au musée du Prado à Madrid. Dommage qu’Hamon ait croppé le tableau, supprimant les deux monstres représentant les Enfers aux pieds de Sisyphe.
Ni dieux ni maître
Quel message Hamon cherche-t-il à faire passer ? Celui d’un rebelle ayant défié les dieux ? Celui d’un déséquilibré qui souhaitait renverser le système (en échappant à son terrible destin) ? Celui d’une personne condamnée à répéter la même tâche pour le restant de ses jours ?
L’explication est peut-être à chercher du côté du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus (1942), lui aussi influencé par Nietzsche, qui s’empara de l’histoire pour penser l’absurdité de la condition humaine. Mais a contrario d’une première interprétation littérale, Camus voit dans Sisyphe un homme “supérieur à son destin” puisque conscient de la dimension intrinsèquement vaine de sa tâche et donc de l’absence de sens de l’existence.
“La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n’est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris”, écrit-il, considérant que Sisyphe bâtit “un univers désormais sans maître” et que “la lutte vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme”. Un bien beau message.
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