En pleine page dans deux quotidiens italiens, les photos du sauvetage des migrants à bord de l’Aquarius utilisées par Benetton pour une campagne publicitaire font du bruit. Coup de com’ ou message politique? La récupération marque surtout le retour des campagnes militantes du photographe Oliviero Toscani. Explications de ce come-back polémique.
Alors que l’histoire de ces 630 naufragés ayant frôlé la mort à bord de l’Aquarius en Méditerranée a causé un quasi conflit diplomatique, le 17 juin, la marque italienne Benetton a repris deux photographies du sauvetage à son compte en les estampillant de son fameux logo vert.
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Photo by Orietta Scardino / ANSA pic.twitter.com/guFAq0976l
— Benetton (@benetton) June 17, 2018
Les deux images de presse ont d’abord été publiées sur le compte Twitter de la marque. Seuls sont floutés les visages des mineurs, les adultes rescapés, eux, sont tous reconnaissables. Le lendemain, ces mêmes images sont en double page dans deux quotidiens nationaux italiens : le Corriere de la serra et la Repubblica. « Benetton a acheté deux pages de La Repubblica et les a utilisées pour publier la photo du débarquement de migrants sans aucun autre commentaire », explique ainsi une Italienne sur le réseau social. L’ONG SOS Méditerranée, propriétaire du bateau, dénonce cette récupération non autorisée.
#Benetton ha comprato 2 pagine su Repubblica e le ha usate per pubblicare la foto di uno sbarco di migranti, senza alcun altro commento pic.twitter.com/MPoLELG8zV
— valentina meli (@melaval) June 18, 2018
Le retour fracassant des campagnes militantes d’Olivero Toscani
A l’origine de cette récupération : Oliviero Toscani, 76 ans, de retour chez Benetton dix-huit ans après la rupture de son contrat avec la marque. De 1982 à 2000, le photographe enchaîne les visuels choc et les polémiques tout en construisant une image solide au label italien. Des campagnes sans accroche, sans mise en valeur du produit, avec comme seul indice rappelant qu’il s’agit bien de publicité le fameux logo sur fond vert « United colors of Benetton ».
>> A lire aussi : “En images : les campagnes choc d’Oliviero Toscani pour Benetton” <<
Dans les années 1980, Toscani privilégie comme thème la représentation de l’homme noir et de l’homme blanc. Une femme noire allaitant un enfant blanc, un homme blanc et un homme noir menottés : la marque devient symbole de fraternité et d’antiracisme.
Montrer ce qu’on ne veut pas voir
Au début des années 1990, les vêtements disparaissent de ses publicités. Le photographe s’inspire de l’actualité et du réalisme pour dénoncer. Exit les messages positifs pour vendre. Il montre ce qu’on refuse de voir : la guerre, la maladie et le sang. En 1992, il reprend déjà une photo de presse liée aux réfugiés : un paquebot rouillé avec, à bord, des milliers d’Albanais qui se jettent à la mer.
Deux de ses campagnes choc marquent les esprits et réutilisent, elles aussi, des photos qui ne sont pas les siennes. La première est l’image de David Kirby : prise par la photographe Therese Frare en 1990, on y voit cet homme de 43 ans, atteint du sida, agonisant sur son lit de mort, entouré de sa famille. L’année 1994 et les guerres en Europe de l’Est donnent naissance à la seconde : celle des vêtements ensanglantés de Marinko Gragro, un soldat bosniaque.
En 2000, Toscani quitte Benetton à cause d’une énième polémique. Pour la marque, il a photographié des prisonniers américains dans les couloirs de la mort. La population des Etats-Unis est scandalisée. Des contrats commerciaux sont annulés, et le photographe est contraint de prendre la porte.
Contre l’extrême droite au pouvoir en Italie
Le 19 juin 2018, dans un tweet, le ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, chef de la Ligue (parti d’extrême droite) a réagi à la réutilisation de la photo de l’Aquarius : « Suis-je le seul à trouver ça minable?« .
La réponse revendicative de Toscani ne se fait pas attendre : « Vous voyez Matteo Salvini, ce n’est pas minable mais dramatique. Et malheureusement, vous êtes nombreux à ne pas comprendre ce qui se passe. Alors le fait qu’un négationniste comme vous critique cette action me fait comprendre que j’ai raison ».
“Je ne suis pas un vendeur, je ne veux pas faire de publicité, je suis juste un témoin de mon temps.”
Parce que Oliviero Toscani l’affirme, dans la Tribuna di Treviso : à travers cette campagne, et à l’image de ses précédentes, il veut bel et bien dénoncer et politiser. « Je ne suis pas un vendeur, je ne veux pas faire de publicité, je suis juste un témoin de mon temps ». Une déclaration qui peut déranger. La photo est bien tamponnée Benetton et Toscani a été rémunéré pour cette réutilisation polémique.
Coup de provocation de trop pour une marque dans le rouge ?
Par ailleurs, avant de considérer Benetton comme un label humaniste, souvenons nous que l’enseigne avait rechigné a dédommager les victimes du Rana Plazza au Bangladesh en 2013. L’effondrement de cette usine textile où étaient confectionnés des articles de la marque avait fait 1138 victimes. Alors message politique ou coup de publicité pour une enseigne endettée à l’âge d’or révolu ? En attendant, le photographe de presse à l’origine de la photo récupérée par Toscani, Kenny Karpov, affirme n’avoir jamais donné son accord. Ce qui, au-delà de toute autre polémique, pose un sérieux problème de déontologie.
🔴 INFORMATION sur l'usage des images de SOS MEDITERRANEE. pic.twitter.com/E5gUuKpbVx
— SOS MEDITERRANEE France (@SOSMedFrance) June 19, 2018
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