Quand la guerre Beatles/Stones se prolonge dans la littérature.
Longtemps, ce fut le grand sujet d’empoignade des cours de récré : es-tu Beatles ou Stones ? En pinces-tu pour quatre gentils garçons, décorés par la reine, ou pour un gang d’affreux voyous, de mèche avec Lucifer ? Aujourd’hui, le roman s’empare de cette question, et, pour la trancher, se glisse dans des tablatures familières.
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Aussi accrocheur qu’un refrain de Lennon et McCartney, l’imposant (660 pages) Beatles (Lattès) n’est pas une nouvelle bio signée François Bon, mais un roman du Norvégien Lars Saabye Christensen. Sans que les quatre héros de la classe ouvrière n’apparaissent directement, on y sympathise avec un John, un Paul, un George et un Ringo, copains d’enfance et parangons d’intégrisme beatlemaniaque, le fétichisme de Christensen allant jusqu’à donner au premier baiser du narrateur un goût de pomme. Mais avec Sway (deuxième livre, non traduit, d’un jeune Américain prometteur, Zachary Lazar), le premier baiser laisse place à une première pipe – dans des chiottes, la pochette de Beggars Banquet se substituant au logo du label Apple.
Pour faire de Jagger, Richards et Jones les personnages d’un roman convaincant – contrairement aux ratés français avec Keith Me d’Amanda Sthers et le Petit déjeuner avec Mick Jagger de Nathalie Kuperman –, Lazar a opté pour une distance altière : aussi ciselée que la musique de Let It Bleed, son écriture en capture la morgue maléfique. Beatles et Sway captent ainsi les mélodies antagonistes des années pop et proposent deux grilles de lecture du monde qu’elles nous ont légué.
Alors que Woodstock est célébré ad nauseam, Christensen rappelle combien les Beatles en symbolisèrent l’esprit – repris par Joe Cocker, leur With a Little Help from My Friends y fut longuement applaudi par 500000 copains d’un jour. Mais en faisant se croiser les trajectoires des Stones, du cinéaste adepte du satanisme Kenneth Anger et du gourou de la mort Charles Manson, Lazar explore l’envers obscur des late 60’s. Loin de l’utopie solaire, le sang versé lors du festival d’Altamont annonce, quatre mois seulement après Woodstock, le climat à venir : sur la tombe du flower power, la trilogie “sexe-drogue-violence” s’apprête à prendre le pouvoir. Sway signifie “emprise”, et le survol de trente ans de production romanesque prouverait qu’entre celle des Beatles et celle des Stones, la littérature a fait son choix – qui ne concorde guère avec celui des éditorialistes nostalgiques.
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