Une plongée délirante dans un monde où cohabitent Indiens du Far West et retraités modernes dans La saison des flèches par Guillaume Trouillard et Samuel Stento.
La Saison des flèches, de Samuel Stento et Guillaume Trouillard, commence comme une belle histoire paisible. Un banal couple de retraités, heureux, cultivés et dynamiques, se réjouit de l’arrivée d’un mystérieux colis. Mais très rapidement, tout dérape. Le paquet en question contient des Indiens en boîte, conservés grâce à un procédé inventé en 1879 qui, ayant évité une extermination totale, permet que “ce rêve américain s’exporte aujourd’hui dans le monde entier”.
A partir de ce postulat abracadabrant, La Saison des flèches n’en finit plus de glisser vers la quatrième dimension. Le couple installe la famille indienne dans son appartement, qui se métamorphose peu à peu en plaine du Wyoming. Des chercheurs d’or rappliquent après que des pépites ont été trouvées dans l’évier de la cuisine, tandis que les Indiens, menacés d’expulsion car sans papiers, se retranchent dans l’appartement-Far West et entament une lutte pour leur survie, avec expédition dans le frigo-banquise et poursuite façon western.
Sur un ton documentaire qui ne se départ jamais de son sérieux, Guillaume Trouillard et Samuel Stento créent un univers complètement absurde où personne ne s’étonne du commerce d’humains en conserve, ni de la transformation du salon en décor de Deadwood. Dans leur grand délire, les auteurs sont extrêmement rigoureux, dépeignant leur monde avec une précision maniaque et force détails historiques. Le rationalisme et la pondération inaltérables du couple, dont le journal sert de trame à l’aventure, ne font qu’intensifier la folie totale dans laquelle les auteurs entraînent leur histoire.
Les deux retraités au bon cœur s’inquiètent sincèrement du bien-être de leurs protégés (“on ne voudrait pas qu’ils passent tout leur temps devant la télé quand même”), sans jamais mettre en question le monde parallèle dans lequel ils évoluent. Dans la pure tradition des Monty Python, Trouillard et Stento poussent chaque idée à l’extrême, exploitent chaque invention jusqu’à l’absurdité la plus totale. Baroque, loufoque, hilarant, La Saison des flèches est pourtant construit sur un scénario solide et rythmé. Les trouvailles graphiques s’enchaînent, pleines d’inventivité. Au milieu de l’histoire principale, dessinée délicatement à l’aquarelle, s’intercalent des fausses pubs, des plans, des photos inspirées du photographe ethnologue Edward S. Curtis, un mode d’emploi de “l’Indien en conserve”…
La Saison des flèches décape des sujets sur lesquels on a rarement l’occasion de rigoler : les Indiens, la culture, la bonne conscience bourgeoise… Stento et Trouillard en pulvérisent les clichés avec leur imagination déchaînée. Mais ils montrent surtout une grande sympathie pour leurs personnages, entraînés malgré eux dans une tragédie qui n’est pas sans rappeler les drames que vivent les sans-papiers dans une France bien réelle et beaucoup moins délirante.
La Saison des flèches (Editions de la Cerise), 104 pages, 20 €